Initialement défini comme une discrimination visant uniquement les personnes âgées, le terme d’”âgisme” a fini par s’élargir pour englober l’ensemble de la population, désignant aujourd’hui un “préjugé contre une personne ou un groupe en raison de l’âge”. Mais bien que touchant un plus grand nombre d’individus, l’âgisme représente aujourd’hui une discrimination qui n’est pas réprimée par la loi en France.
Cela entraîne ainsi un grand nombre d’approximations, voire de préjugés. D’un côté : les jeunes sont fainéant·e·s, iels ont un problème avec l’autorité… De l’autre : les personnes âgées ne sont pas dynamiques, elles sont dépassées par les nouvelles technologies…
Flavien et Léa, accompagné·e·s de leurs camarades Fabio et Maxime, tentent de décrypter les enjeux communicationnels autour de l’âgisme dans ce nouveau numéro du Curious Live en présence de Marie-Odile Chollet, conseillère municipale de la ville de Dijon déléguée à l’Observatoire de l’âge et aux relations intergénérationnelles.
Une accessibilité au travail contrariée
Là où le bât blesse, c’est en particulier concernant la recherche d’emploi. Si au niveau des jeunes, le manque d’expérience sera critiqué, concernant les aîné·e·s a contrario, l’arrivée prochaine de la retraite sera mentionnée comme un facteur handicapant. Si l’on en tient pour preuve le baromètre sur la perception de la discrimination dans l’emploi consacré à la jeunesse publié par Claire Hédon, Défenseure des droits, 37 % des personnes de 18 à 34 ans seraient victimes de discrimination à l’embauche, l’âge ressortant ainsi comme l’un des principaux motifs.
À en croire en effet un article publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2021, l’âgisme est un enjeu mondial entraînant différents problèmes liés à la santé voire parfois à des décès tout en coûtant des milliards d’euros aux sociétés. Afin de médiatiser cette lutte, la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie) ainsi que 42 associations de 29 pays ont lancé en 2020 le slogan “Old Lives Matter” dans le but de sensibiliser les citoyen·ne·s et les médias au sujet du respect des aîné·e·s.
Pour lutter contre le problème, différentes initiatives ont été mises en place en France, à l’instar de la campagne réalisée en 2019 par la ville de La-Roche-sur-Yon avec une série d’affiches ayant pour objectif de faire évoluer les mentalités sur la notion du vieillissement.
Si l’on s’intéresse au traitement médiatique des plus jeunes, nous pouvons remarquer que les campagnes de communication leur étant destinées ne reflètent pas forcément la réalité et adoptent régulièrement des clichés, prenant notamment un ton infantilisant, comme par exemple celle réalisée par la ville de Châlons-en-Champagne pour annoncer l’organisation d’un concours de hand-spinner. On vous laisse juger par vous-mêmes…
Afin de changer les mentalités et de tenter d’apporter un regard plus juste à l’égard de la jeune génération, différents organismes, tels que l’ANACEJ (Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes), ont mis en œuvre différentes démarches. L’ANACEJ dénonce depuis une dizaine d’années maintenant l’image des jeunes véhiculée par les médias, par exemple à travers leur campagne “Stop Clichés”, dans laquelle on pouvait voir des jeunes se prendre en photo tenant une ardoise sur laquelle était écrit un cliché à bannir sur leur génération.
Un dialogue réellement sans issue ?
Selon Simon Berger, chargé de communication pour l’association, les impératifs des journalistes les poussent à faire des raccourcis, notamment dans un souci d’urgence. Il ajoute par ailleurs que cela contribue à la mauvaise image que les adultes se font des jeunes en les voyant dans les médias.
Cela n’est alors pas sans conséquence et une certaine désolidarisation de ces derniers à l’égard des canaux traditionnels tels que la presse ou la télévision se fait alors observer. Afin de les suppléer, iels se tournent ainsi davantage vers de nouvelles plateformes, à l’image de YouTube, Twitch ou encore Discord. Toujours selon Simon Berger, les jeunes ne vont pas s’intéresser aux médias traditionnels si ces derniers ne s’intéressent pas à elleux, appelant alors les journalistes à produire des reportages les plus proches possible de la réalité.
Dans la même lignée, l’ouvrage Sois jeune et tais-toi, publié l’année dernière par Salomé Saqué, s’adresse à celleux critiquant la jeunesse.
Ainsi, une formation des journalistes à ce sujet semble être une solution vers laquelle se tourner. Collaborer avec des seniors ou des plus jeunes lorsque le sujet les concerne permettrait ainsi d’éviter de tomber dans les clichés et d’obtenir des retours constructifs pour une meilleure représentation des différentes générations.
Cependant, la cause est loin d’être perdue. Les jeunes, notamment, manifestent leur intérêt d’en connaître davantage sur l’actualité. Un des meilleurs exemples est celui de Hugo Travers, âgé de 27 ans, et son média HugoDécrypte, présent sur Instagram, TikTok ou encore YouTube. Un contenu plébiscité prouvant que les jeunes ne sont pas désintéressé·e·s des médias et de l’actualité, mais qu’ils attendent d’être représentés de manière plus juste et que les informations leur soient également présentées d’une autre façon. Une façon plus concise, de la part de personnes plus proches d’elleux, à l’image de ce que Hugo Travers et ses équipes produisent en vulgarisant l’information, la rendant ainsi davantage accessible afin d’en comprendre les principaux enjeux.
Sur quoi construire ?
Aujourd’hui, la communication a besoin d’être adaptée à tous·tes, sans stigmatisation en fonction de l’âge. Pour parer à cela, différentes solutions existent. Selon Marie-Odile Chollet, conseillère municipale à la ville de Dijon, déléguée à l’Observatoire de l’âge et aux relations intergénérationnelles, le poids des mots a une importance primordiale. Les termes “papy” ou “mamie” par exemple, représentent des signes de surprotection, ces personnes-ci étant alors considérées comme fragiles. Des termes signes d’infantilisation ou encore de paternalisme. D’autre part, la “perte” d’autonomie focalise ici l’attention sur la dégradation physique et mentale liée au vieillissement et sur les besoins en suppléance et en soins. Des termes à l’image de “maintien” ou encore “développement” de l’autonomie contribueraient ainsi à porter un regard différent sur le vieillissement d’une personne ou d’un groupe social.
La question globale de la communication sans stigmatisation, c’est le fait de donner la parole, écouter et chercher à comprendre en valorisant l’expérience. C’est par ailleurs reconnaître les paradoxes de la société, dans laquelle les seniors, faisant vivre le tissu associatif, sont pourtant mis·e·s en retrait car, sauf exception, pas assez “montrables”.
Mais afin de lutter contre ces discriminations, différentes solutions existent. Inclure sur tous types de visuels des individus de différentes générations semble aujourd’hui incontournable afin de refléter la diversité de la société. Une meilleure communication et éducation sur ces enjeux est également nécessaire si l’on se fie à une étude de 2021 du cabinet Occurrence pour Diversidays révélant que plus de la moitié des salarié·e·s pensent actuellement que la notion de diversité n’est pas toujours bien maîtrisée.
Il est ainsi impératif de couper court aux segmentations en fonction de l’âge. Selon une étude Kantar Média publiée en 2022, cibler les consommateur·rice·s en se basant sur leurs expériences de vie et leurs comportements peut être jusqu’à quatre fois plus efficace que se baser uniquement sur leur âge.
Quand la popularité prend un nouveau tournant…
Nous remarquons par la même occasion une hausse de l’utilisation de plateformes comme Facebook, Instagram ou encore YouTube chez les plus de 65 ans ces dernières années, prouvant l’importance de ne pas présumer des comportements en fonction de l’âge. La popularité d’influenceur·euse·s plus âgé·e·s, à l’image de Studio Danielle, est par ailleurs la preuve d’un véritable engouement pour des personnages tranchant avec les habitudes. Dans le même registre, la présence au premier rang d’un récent défilé de la marque Schiaparelli de la comédienne Marisa Berenson, âgée de 77 ans et petite-fille de la créatrice, ou encore la mise en avant d’une autre comédienne, Maggie Smith, âgée quant à elle de 88 ans, en tant qu’égérie de la marque Loewe, symbolisent une certaine volonté pour ces différentes enseignes de prolonger un lien historique et mettre sur le devant de la scène des ambassadeur·rice·s d’un nouveau genre.
Les générations main dans la main
Mais les diverses initiatives mises en place afin de pallier aux stéréotypes sur les jeunes générations ou les plus anciennes ne sont pas seulement mises en place par des marques ou encore des associations, mais également par différentes municipalités. À ce sujet, la ville de Dijon a par exemple réalisé différentes actions afin de favoriser le lien entre les âges, à l’image d’une journée proposée dans le cadre d’un projet d’interconnaissances entre le lycée Eiffel et un groupe de seniors ou encore d’un parcours de santé composé d’équipements sportifs accessibles à tous·tes pour s’approprier l’espace public et partager des activités. Selon Marie-Odile Chollet, le lien social apparaît ainsi comme un pilier de la prévention en santé physique et mentale.
Flavien Bert et Léa Simonnet