En ce début d’année 2024, la Fashion Week s’est déroulée à Paris pour la 51ème année consécutive. Cet événement, consacré à la haute couture, vient mettre en lumière de nombreux·se·s créateur·rice·s et de nombreuses marques, représentées par leurs égéries.
Cette année, la Paris Fashion Week 2024 – 2025 s’est déroulée en janvier et vient, une année de plus, donner de la visibilité aux créations de nombreuses grandes maisons de haute couture, présentant la collection de vêtements Automne / Hiver, portée par leurs modèles et leurs égéries. Organisée par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM), elle réunit en une seule ville de nombreuses maisons de mode internationales pour participer à des défilés hauts en couleurs et en originalité.
La Fashion Week, son histoire
Depuis 1973, la Fashion Week ou “Semaine de la mode” à Paris. C’est un événement qui, pendant une semaine, va animer la ville avec de nombreux défilés consacrés à la haute couture, mais aussi au prêt-à-porter et à la mode masculine. Chaque année, on retrouve deux éditions principales : la première en début d’année pour présenter les collections Automne / Hiver, ainsi qu’une deuxième pour la collection Printemps / Été qui débute au milieu de l’année.
Dès le début des années 70 où la mode féminine devient plus libre et jusqu’à aujourd’hui, la Fashion Week est un événement largement relayé par la presse et les réseaux sociaux.
Sur les réseaux sociaux comme X, Instagram et Tiktok, cet événement entraîne de nombreuses retombées médiatiques. Il est possible de retrouver sur le #PFW, des millions de posts d’internautes suivant les défilés et réagissant en direct sur les plateformes, créant un engouement autour de cet événement. Pour l’édition de la Paris Fashion Week 2022, un total de plus 3,8 millions de posts ont été publiés en utilisant ce hashtag.
Bien que les invité·e·s de l’événement ne soient que des personnes influentes (chanteur·euse·s, acteur·rice·s, influenceur·euse·s), la couverture médiatique de l’événement permet à la Fashion Week de faire parler d’elle partout dans le monde, sur les réseaux, en réunissant autour d’un live diffusé sur les réseaux des passionné·e·s de mode.
Du XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui, l’évolution de l’égérie
Des muses discrètes des premiers jours aux influenceur·euse·s numériques mondiaux d’aujourd’hui, l’évolution des égéries a façonné une nouvelle ère de représentation pour les marques de mode. Une égérie est en effet une personne, souvent une célébrité, dont l’image est associée à une marque, à un produit ou une cause. Avant d’être associée à la mode, une égérie était synonyme de muse, source d’inspiration pour des mouvements de pensée culturels ou politiques. Balzac au XIXe siècle l’a popularisé en l’utilisant dans ses deux romans Les Comédiens sans le savoir et La Cousine Bette, en référence à certains de ses personnages qui venaient en conseiller d’autres.
Aujourd’hui, dans le monde de la mode, l’égérie est une personnification d’une marque ou d’une maison de couture. Cette personne est choisie pour sa présence marquante en adéquation avec les valeurs, l’esprit et l’esthétique de la marque. En plus d’incarner l’identité de la marque, elle renforce son image. Elle participe également à la promotion des produits et à l’influence des choix des consommateurs en créant un lien émotionnel avec eux. Elle apporte une dimension humaine à la marque et contribue à son succès sur le marché en communiquant avec leur image. Elle permet aussi d’assurer un renouveau des consommateur·rice·s, en attirant un nouveau public qui sera plus varié.
Au fil des décennies, le rôle des égéries de mode a considérablement évolué, reflétant les changements socioculturels, les avancées technologiques et les dynamiques de l’industrie de la mode, le tout reflétant un désir croissant d’inclusivité en mettant en avant des personnalités aux origines, aux genres et aux styles variés.
Les années 1950
Les premières égéries de mode remontent aux années 50, lorsque des icônes du cinéma et des mannequins renommées de haute couture ont commencé à incarner le style des maisons de mode. Leur image était soigneusement cultivée pour incarner l’élégance et le glamour associés aux marques de luxe. Des figures, comme Audrey Hepburn avec Givenchy dans les années 1950, sont emblématiques de cette époque où la relation entre les égéries et les maisons de couture était empreinte de mystère et de sophistication.
On retrouve aussi un second type de mannequin, appelées les mannequins-cabine, chargées d’essayer les vêtements des créateurs afin de voir à quoi ressemblent les pièces une fois celles-ci portées. Le terme “cabine” englobe l’équipe de mannequins, mais représente aussi le lieu réservé aux mannequins où sont faits les différents essayages.
Ces mannequins, contrairement aux autres égéries de la marque, restaient dans l’ombre, mais étaient nécessaires pour la marque.
C’est en 1950 que les premiers changements ont eu lieu lorsque la britannique Barbara Goalen, anciennement mannequin-cabine d’une maison de couture s’est fait remarquer par le photographe John French, grâce à son allure et à son aisance. Très vite, elle devient modèle pour des photographes de mode grâce à sa sophistication et son élégance. C’est le cas pour de nombreuses femmes, notamment Victoire Doutreleau, devenue égérie de la marque Dior au milieu des années 50 en raison d’une relation proche avec le créateur Christian Dior qui la considérait comme la muse de sa marque. Le rôle de muse que représentent ces égéries est donc très important. Elles sont, pour les créateurs, une source d’inspiration et ils partagent avec elle une relation fusionnelle, rendant ces égéries très spéciales à leurs yeux.
Les années 60 et 70
En 1960, les égéries incarnent un changement radical. Un style plus audacieux, minimaliste, et tourné vers la jeunesse en lien avec le mouvement culturel “youthquake”. Ce terme, popularisé dans les années 1960 par la rédactrice en chef de Vogue britannique, Diana Vreeland, désigne un changement culturel, social et stylistique influencé par la jeunesse et incarné par des mouvements de mode et de style novateurs. Les mannequins de cette décennie étaient caractérisées par leur apparence naturelle, leur élégance sophistiquée et leur capacité à incarner l’esprit révolutionnaire de l’époque. Elles ont contribué à définir une esthétique marquée par des lignes épurées, des coupes modernes et une attitude de jeunesse et de libération.
On retrouve cette idée de liberté dans les années 1970 lors de l’arrivée des vagues hippie, punk et disco. Les égéries de cette période étaient associées à la contre-culture, reflétant les mouvements sociaux et les revendications de liberté de l’époque. Cette décennie a vu l’émergence de mannequins emblématiques comme Cheryl Tiegs, Lauren Hutton ou encore Jerry Hall. Elles ont non seulement dominé les podiums, mais sont également devenues des icônes de la mode et de la culture populaire. Les égéries étaient particulièrement connues pour leurs tailles élancées et leurs cheveux naturels. Elles ont contribué à définir une esthétique éclectique, caractérisée par la diversité des styles, l’expression de la liberté individuelle et l’influence de mouvements culturels majeurs de l’époque.
Les années 1980-1990
Les années 1980 et 1990 ont été marquées par l’ascension des supermodels. À cette époque, les mannequins commencent à s’émanciper et deviennent de réelles célébrités. Des figures emblématiques de la mode devenues des égéries à part entière, avec une présence forte dans les médias et une influence dépassant les podiums. C’est le cas des mannequins Linda Evangelista, Naomi Campbell, Christy Turlington et Cindy Crawford qui, grâce à leur apparition dans le clip de George Michael pour sa chanson “Freedom! 90s”. Quatre supermodels iconiques qui ont vu leur carrière changer et grandir encore plus grâce à la popularité engendrée par ce clip.
Dans les années 90, les stars entrent à nouveau dans la danse, leur popularité les faisant devenir aux yeux de tous·tes des égéries. Le marché du luxe évolue. Plus besoin d’être la source d’inspiration d’un grand créateur pour devenir une égérie. Des collaborations viennent élargir le champ des possibles pour les égéries au-delà du monde du mannequinat, comme pour Madonna avec le corset Jean Paul Gaultier qui a fait sensation lors de sa tournée “Blond Ambition Tour” en 1990. Cette tenue est désormais un emblème de la mode.
Des années 2000 à aujourd’hui
Les années 2000 voient l’apparition d’égéries qui ont incarné la diversité des tendances et des styles de cette époque. Ces années rassemblent de nombreuses modes différentes, chacune est unique en son genre. Tout comme la mode change, la femme change elle aussi. Les égéries deviennent toutes différentes, uniques en leur genre en s’affirmant.
Pour la première fois en 2015, Rihanna devient la première égérie noire de la maison de luxe française Dior, qui, fondée en 1946, est en pleine évolution. Elle devient l’une des égéries les plus emblématiques de la marque grâce à son apparition dans la campagne publicitaire “Secret Garden”, filmée au château de Versailles. Étant une grande fan de mode, Rihanna a été accompagnée et habillée de nombreuses fois pendant sa carrière par la maison Dior. Elle a même lancé sa propre marque Fenty en collaboration avec le groupe LVMH, exploitant leur style personnel et leur influence.
Tout comme Rihanna, plusieurs personnalités sont devenues des visages emblématiques de maisons de renom, chacune avec des caractéristiques uniques et ont aussi lancé leurs propres lignes de mode.
Avec l’avènement des médias sociaux au 21e siècle, l’évolution des égéries a connu une transformation radicale. Les mannequins traditionnels ont été rejoints par des influenceur·euse·s et des célébrités des réseaux sociaux. L’accent est désormais mis sur la proximité avec le public, l’authenticité et la diversité. Les marques recherchent des égéries qui peuvent créer une connexion directe avec les consommateur·rice·s à travers les plateformes en ligne, transformant ainsi les adeptes en client·e·s.
La tendance est également aux “nepo babies”, les enfants de star, qui deviennent les nouvelles·aux supermodels. Parmi eux, Lily Rose Depp, la fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp, repérée à 16 ans par Chanel ou encore Kendall Jenner connu pour sa participation dans la célèbre émission de téléréalité “L’Incroyable Famille Kardashian” dès l’âge de 11 ans. Autre nepo baby, Kaia Gerber, fille de la supermodel Cindy Crawford qui a régulièrement collaboré avec Karl Lagerfeld chez Chanel, créant la collection Karl x Kaia en 2018.
Ces nouvelles égéries maîtrisent souvent mieux les réseaux sociaux que leurs parents, et utilisent leur présence en ligne pour promouvoir des contrats et multiplier les projets. Les marques capitalisent sur leur notoriété et leur familiarité physique, attirant ainsi une clientèle plus jeune tout en maintenant l’intérêt des acheteur·euse·s plus âgé·e·s. Cette tendance apporte une dynamique nouvelle à l’image de la marque sans nécessairement introduire une totale nouveauté. En se tournant vers ces jeunes égéries du luxe, les maisons peuvent bénéficier d’une image de marque rafraîchissante et parfois économiser par rapport aux contrats avec des célébrités plus établies.
Comme pour la décennie précédente, les égéries actuelles ne sont plus seulement des mannequins. Elles sont actrices, chanteuses, mais également influenceuses et candidates de téléréalité. Cette tendance reflète la manière dont l’industrie de la mode s’adapte à l’évolution des médias et à l’influence croissante des plateformes numériques. Dixie D’Amelio, star des médias sociaux et chanteuse, a par exemple collaboré avec la célèbre maison de haute couture italienne Prada. De son côté, la youtubeuse et influenceuse américaine Emma Chamberlain a collaboré avec la marque française de luxe Louis Vuitton. Cela illustre la fusion croissante entre le monde de la mode et les influenceur·euse·s de la génération Z.
La décennie met l’accent sur l’authenticité, l’inclusivité et la diversité. Les égéries sont choisies pour leur impact au-delà de l’esthétique. La mannequin grande taille Paloma Elsesser utilise sa voix pour promouvoir l’acceptation de soi.
Du côté des supermodels, on retrouve les sœurs Bella et Gigi Hadid, Kendall Jenner, Adut Akech, Liu Wen et Kaia Gerber. Elles se distinguent par leur polyvalence, leur engagement social, leur forte présence en ligne et leur influence mondiale. La diversité, tant en termes d’origines ethniques que de styles personnels, est également une caractéristique marquante de cette génération de supermodels.
De la femme cabine cachée dans l’ombre d’une maison de mode à la femme engagée, reconnue et modèle à suivre pour de nombreuses personnes, le rôle des égéries a énormément changé au fil du temps et ne cesse d’évoluer. Des personnalités modernes, actrices, chanteuses, mannequins, ces égéries de la nouvelle génération, tout en incarnant les valeurs des marques de luxe, attirent une audience plus jeune et engagée grâce à leur notoriété qui est aujourd’hui un critère important afin de faire d’elles des égéries.
Malgré cela, de nombreuses inégalités continuent à persister. Bien que les égéries aient connu une large diversification au fil des années, celles-ci ne reflètent pas la réalité. De nos jours, un grand manque de représentation est toujours présent, notamment au niveau de la représentation des corps, des identités de genre et des capacités physiques.
Toutefois, alors que la société devient plus inclusive, l’industrie de la mode peut jouer un rôle significatif dans la représentation des femmes. En célébrant cette diversité, les marques ont l’opportunité de briser de nombreux stéréotypes, en mettant en lumière la richesse de la diversité.
Dina BELDJILALI et Coralie BLANCHARD