Pour cet ultime épisode de la quatrième saison du Curious Live dédiée à la communication inclusive, Flavien et Léa sont accompagné·e·s de Vanessa Vaizant, vice-présidente déléguée au handicap, aux solidarités et à l’inclusion de l’Université de Bourgogne et responsable de la Commission Solidarité Étudiante afin d’analyser les différents moyens mis en œuvre afin de communiquer autour de la notion de solidarité.
Quand la fracture informationnelle touche les plus vulnérables
Si l’on reprend les mots du sociologue allemand Hartmut Rosa, l’accélération du rythme de vie touche à l’expérience existentielle des individus contemporains. Il explique par ailleurs que l’un des facteurs de cette accélération est l’organisation des sociétés contemporaines autour d’une logique de compétition, rendant ainsi les positions sociales davantage précaires. La question de la solidarité devient alors primordiale afin de lutter face à cette problématique. S’impose la nécessité de prêter une attention particulière aux personnes défavorisées et pouvant disposer d’un accès moins aisé envers l’information.
À ce titre, ces dernières n’ont pas forcément le temps ou encore les ressources à disposition afin de s’informer correctement et se contentent ainsi régulièrement des informations mises à leur disposition et de qualité variable. Celles-ci sont davantage susceptibles d’être touchées par la désinformation, voire par une certaine forme de propagande.
Un problème aujourd’hui connu sous le nom de « fracture informationnelle ». Si l’on en croit l’hypothèse développée par la chercheuse américaine Elfreda Chatman dans les années 1990 et 2000, l’« info-pauvre » démontre un rapport différent à l’information, pouvant être lié à la pauvreté économique mais également à une appartenance à une communauté culturelle ne pouvant partager les manières de s’informer du plus grand nombre. Le terme « info-pauvre » désigne par ailleurs à la fois une certaine pauvreté au sein des informations reçues par ce type de public mais également une « information à destination des pauvres », bien que ce mot soit connoté négativement et qu’on lui préfère aujourd’hui le terme « personnes défavorisées ». L’enjeu derrière cette formulation réside alors dans la manière de communiquer afin que les personnes concernées se sentent comprises et représentées, mais aussi dans le but de faire évoluer les mentalités du grand public vers davantage d’acceptation.
Quelles solutions ?
Une question s’impose alors : que mettre en place pour pallier cette obstruction de l’accès à l’information ? L’une des clés semble résider dans la formation à la reconnaissance d’informations recoupées et fiables et ainsi la manière de les dissocier des fake news, de plus en plus nombreuses ces dernières années. À cet égard, différents dispositifs existent, comme des formations à l’utilisation d’outils numériques ou encore des ateliers ludiques sous forme de jeux.
Car des initiatives mises en place en faveur des personnes qui le nécessitent, il en existe beaucoup. Si l’on vous dit “On compte sur vous”, vous pensez sûrement aux Restos du Coeur, fondés en 1985 par Coluche dans un contexte de grande précarité. Pour rassembler la population autour de la cause, la troupe des Enfoirés a alors été créée. Une troupe dont ses membres, près de 40 ans plus tard, font régulièrement l’objet de vives critiques quant au fait notamment d’utiliser la cause à des fins commerciales et communicationnelles dans le but d’embellir leur image et augmenter leur visibilité, sentiment partagé par d’autres personnalités ayant décliné l’invitation à les rejoindre. Un contexte aujourd’hui délicat, d’autant plus avec l’augmentation du nombre de personnes dans le besoin, ne se sentant pas représentées voire parfois “utilisées” par ces célébrités, sans impact significatif par la suite, au vu du décalage entre les modes de vie pouvant ainsi décrédibiliser la cause.
Mais la jeune génération aussi est aujourd’hui prompte à s’engager. En guise d’exemple, le Z Event sur la plateforme Twitch, créé par les streameurs Zerator et Dach. Cet événement, forme de Téléthon en ligne, qui vient en aide à chaque édition à une organisation humanitaire est un rendez-vous annuel qui inclut une participativité de la part des spectateur·rice·s avec les créateur·rice·s de contenu, entraînant ainsi un véritable lien et contribuant à générer davantage de dons.
L’entraide pour affronter la crise
On le voit, les jeunes sont donc de plus en plus engagé·e·s sur la question de la solidarité, mais iels font par ailleurs partie des plus touché·e·s par la question. La crise de Covid-19 les a en effet touchés sur le plan économique mais également psychique. La pandémie a mis en lumière un problème souvent peu ou mal compris, notamment par les médias. À en croire le baromètre 2021 de la jeunesse du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), les difficultés vécues par les jeunes pendant la crise sanitaire concernaient notamment leur état d’esprit ou encore leurs projets d’avenir et leur situation professionnelle, créant un sentiment profond de solitude. Une période qui a ainsi grandement augmenté l’utilisation des outils numériques afin de compenser le manque d’échanges directs, avec une transformation des liens au risque d’engendrer une forme d’isolement numérique.
Quelles actions en direction des jeunes ?
Afin d’affronter les problématiques auxquelles fait face la jeune génération actuelle, différents dispositifs sont mis en place. À l’Université de Bourgogne justement, la Commission Solidarité Étudiante a pour objectif de répondre du mieux possible au besoin de chaque individu·e dans le besoin.
Afin que les actions mises en place aient une utilité publique et une réelle force de frappe, la communication à ce propos est essentielle. On peut ainsi remarquer une certaine mise en avant de figures devenues des symboles voire des allégories de la lutte contre la pauvreté, à l’image de l’Abbé Pierre, fondateur d’Emmaüs et représentant ce combat de longue date pour offrir une vie décente au plus grand nombre. L’image de Soeur Emmanuelle ou encore, à l’étranger, de Mère Teresa symbolisent de la même manière ce combat contre la précarité.
Si l’on s’intéresse aux campagnes de communication de différents organismes, à l’image de Médecins Sans Frontières ou La Croix-Rouge, l’humain sera alors comme au centre des visuels et des messages.
A contrario, en s’appuyant excessivement sur des tons tragiques afin de jouer sur la pitié, le risque est de perdre l’essence même de ce qui est voulu, à savoir une transformation sociale et un changement de regard de la part de la société. Pour reprendre les mots de Bruno Georges-David, fondateur de l’ONG Communication Sans Frontières : « Les ONG devraient être à même de casser tous les codes et les représentations de l’imaginaire que nous avons des désordres du monde. Nous offrir une vision pour le moins révolutionnaire de leurs intentions et de leurs actions. Générer de la révolte contre l’acceptation rampante de situations qui ne peuvent plus l’être ».
Quelles positions pour les actions de communication ?
La question plus globale de l’intégration des pratiques de lutte contre la pauvreté au sein des stratégies de communication se pose alors. Pour y répondre, une stratégie en quatre étapes se démarque :
1) L’évaluation du contexte. Il est nécessaire de s’intéresser en profondeur au sujet afin de s’assurer de savoir de quoi nous parlons mais également d’analyser les discours existants et leurs retombées afin de ne pas reprendre les stricts mêmes éléments et ne pas engendrer de bad buzz tout en évaluant la position de son entreprise sur le sujet.
2) La collaboration et la co-création avec les acteur·rice·s impliqué·e·s. L’inclusion des personnes défavorisées dans le processus de création et de relecture des supports est primordiale afin de s’assurer que le message, sur le fond comme sur la forme, soit non-offensant et en adéquation avec la réalité. Varier les points de vue favorise par la même occasion l’inclusion et la diversité au sein des équipes.
3) Le choix des canaux de diffusion. Ceux-ci détiennent un impact important sur les retombées et l’efficacité d’une campagne, en termes d’accessibilité ou d’engagement notamment. Les canaux ne seront par exemple pas les mêmes si la cible visée concerne les citoyen·ne·s français·e·s ou bien les personnes défavorisées.
4) L’apprentissage par l’erreur. La mise en place de KPI, ou indicateurs clés de performance, permettent, à court ou à long terme, d’analyser les résultats d’une campagne et découvrir si les objectifs ont été atteints.
Nous remarquons ainsi que, bien qu’au cœur des débats depuis des décennies, le combat contre la précarité et pour la solidarité n’a jamais semblé aussi réel et important qu’aujourd’hui.
Flavien BERT et Léa SIMONNET