Au cours des dix dernières années, les fast-food américains se sont multipliés en France, marquant une tendance forte et durable. Pour s’implanter avec succès, ces enseignes misent sur des stratégies de communication innovantes et percutantes. En adaptant leurs saveurs aux préférences locales et en choisissant des emplacements stratégiques, elles parviennent à attirer une clientèle de plus en plus large. Mais comment ces géants de la restauration rapide réussissent-ils à séduire les Français·e·s ?
La tendance fast casual : des origines à aujourd’hui
Le secteur de la restauration n’a pas échappé à l’évolution des attentes des consommateurs. Ces dernières années, une tendance semble s’être imposée : le fast casual ou fast good, qui désigne le fait de manger rapidement, mais sainement, en opposition au fast-food. Bernard Boutboul, président du cabinet de conseil en restauration Gira, explique dans une publication consacrée au sujet : “Le fast good est plutôt une offre hybride qui vient s’intercaler entre les segments historiques que sont la restauration rapide et la restauration plus traditionnelle. Plus qualitatif que la restauration rapide connotée « malbouffe », avec une offre plus diversifiée et dans une ambiance plus soignée”.
La tendance fast casual serait née dans les années 1990 aux États-Unis, en opposition au fast-food et à la junk food, aussi appelée “malbouffe”. Aux États-Unis, c’est l’enseigne de restauration tex-mex Chipotle (1993) qui en serait à l’origine. Son fondateur souhaitait alors proposer des produits frais et de qualité à des prix abordables, servis rapidement. En France, ce segment de la restauration apparaît dans les années 2000, avec notamment l’arrivée de Cojean en 2001.
La baisse du pouvoir d’achat et la demande pour le mieux-manger semblent être deux facteurs qui ont donné naissance à cette tendance alimentaire. Les premières chaînes de restauration à se positionner sur ce créneau sont notamment les all-day bakeries, ces établissements où il est possible de manger à toute heure de la journée. Et rappellent vaguement les delicatessen dans les pays anglo-saxons, ces épiceries fines et traiteurs où l’on peut à la fois faire ses courses, déjeuner sur place ou prendre à emporter.
Parmi celles-ci, en France, on retrouve LINA’S Paris en 1989, une “sandwicherie de luxe”, véritable pionnière de la fast casual et spécialisée dans le sandwich club à composer. Elle a été suivie par Cojean en 2001, qui se qualifie de maison française “healthy” et propose des menus adaptés aux différents régimes alimentaires, avec un sourcing éco-responsable. Son équivalent anglais, Pret à Manger, arrive en France en 2012, avec un concept proposant à la vente sandwichs, salades, soupes et desserts, une véritable institution chez les Britanniques. Enfin, en Belgique, la chaîne Le Pain Quotidien (1990), propose une carte inspirée du savoir-faire boulanger, dans un cadre chaleureux : grande table commune et mobilier en bois, confitures et pâtes à tartiner disposées sur les tables pour une ambiance “comme à la maison”.
Par la suite, la tendance fast casual s’est élargie à d’autres types d’enseignes proposant des produits plus mondialisés, et souvent adaptés au marché français : bagels, focaccias, burgers gourmets, salades et bowls healthy, etc. Celles-ci constituent la grande majorité des enseignes de restauration rapide que l’on connaît aujourd’hui. Mais quels sont les éléments qui caractérisent les enseignes fast casual ? On y retrouve bien souvent une offre courte thématisée autour d’un produit et dont les ingrédients sont sélectionnés avec soin, conçue pour être consommée à tout moment de la journée, un esthétisme du point de vente, ainsi qu’une stratégie de communication décalée et humoristique.
Si cette forme de restauration s’est imposée sur le marché avec 134 restaurants fast casual en 2021 contre 22 en 2017, des questions émergent néanmoins : comment maintenir une qualité à haut débit ? Comment vendre des produits qualitatifs à petits prix ? Peut-on faire l’impasse sur le service à table tout en se considérant “haut de gamme” ? La clé de ce succès semble reposer sur la stratégie de communication, qui se veut impertinente et originale pour créer une identité de marque différenciante.
L’arrivée des fast-food américains en France
Depuis quelques années, le burger premium est devenu le produit star des assiettes. Revisité à la française, le célèbre sandwich américain trouve un nouveau souffle. Un créneau avec de nombreux acteurs à la clé… Leurs points communs ? Des recettes mettant à l’honneur les produits du terroir, avec des ingrédients issus de circuits courts et des buns briochés faits chez le boulanger (Big Fernand, Les Burgers de Papa), ou encore un positionnement 100% bio avec une carte respectant la saisonnalité des ingrédients (Bio Burger). Sans oublier des campagnes de communication singulières et impertinentes, telles que les campagnes d’affichage Big Fernand, ou encore les spots publicitaires Les Burgers de Papa, à la sortie de nouveaux burgers.
Mais depuis une dizaine d’années, les enseignes fast-food françaises ne sont plus seules à s’être positionnées, puisque de nombreuses marques américaines se sont implantées en France. Début 2023, on recensait plus de 4400 fast-food dans la capitale française, dont le nombre a augmenté de plus de 50% en 10 ans. Dans certains arrondissements comme le 19e et le 20e, la part des fast-food dépasse aujourd’hui les 40%. Effet de mode ou réelle place à prendre ?
Ce phénomène s’explique par la recherche d’une offre de restauration la plus rapide possible à l’heure du déjeuner, afin de répondre au rythme de vie professionnelle des français·e·s. Selon une étude du NPD Group en 2012, les Français·e·s seraient les deuxièmes plus gros consommateur·rice·s de burgers derrière les Américain·e·s, et consommeraient en moyenne 14 burgers par an et par personne. Un atout indéniable pour l’implantation de ces enseignes dans l’hexagone. D’ailleurs, la France est aujourd’hui devenue le quatrième plus gros marché de McDonald’s, et sa réussite a ouvert la voie à d’autres chaînes américaines telles que Popeye’s ou Wendy’s, alors encore absentes du marché français.
À titre d’exemple, Popeye’s, fondé en 1972 et originaire de Louisiane, l’un des berceaux du poulet frit, compte environ 3 900 restaurants implantés dans une trentaine de pays. C’est en 2018 qu’elle s’implante en France avec un premier restaurant, mais la crise sanitaire la force à fermer son établissement. Début 2023, la chaîne fait son retour en France. L’ouverture du restaurant situé à la Gare du Nord a attiré des dizaines de personnes, impatientes de goûter au fameux “fried chicken”. Ayant pour concurrent principal le géant du poulet frit, KFC, Popeyes a dû trouver une manière de rester désirable et accessible aux yeux des Français·e·s. Tout d’abord, la carte reste plutôt courte pour une chaîne de restauration rapide et propose, en plus de son poulet 100% français et frit sur place, des sandwichs préparés avec des produits frais et locaux. Pour se développer en France, la chaîne a réalisé des adaptations aux habitudes alimentaires et s’est implantée dans des villes de taille moyenne, telles que Grenoble, Brest ou Agen, s’accompagnant de divers formats de restaurants tels que des drives, des établissements situés dans des centres commerciaux et dans des gares.
De son côté, la chaîne de restauration latino-américaine Chipotle dont le ticket moyen est de 11,50 €, est arrivée en France en 2012, avec pas moins de 5 restaurants. D’inspiration mexicaine, elle propose bowls à composer, quesadillas, fajitas, burritos ou encore guacamole et chips tortilla. Même si elle est considérée comme un fast-food, la chaîne cherche toujours de nouveaux moyens de faire découvrir ses produits frais. Pour se développer en France, elle a misé sur la fraîcheur des ingrédients. C’est le cas de son poulet qui est approvisionné localement et labellisé, et ensuite mariné en petites quantités pour apporter une saveur fumée aux bowls, burritos, salades ou tacos.
La marque de donuts américaine Krispy Kreme, quant à elle, a ouvert sa première boutique en France en décembre 2023, et a également adapté le goût de ses beignets et ses campagnes de communication. À l’occasion de l’ouverture de sa première boutique, une campagne street marketing osée dans les rues et dans les métros de la capitale avait parodié nos emblématiques macarons, croissants et pains au chocolat sur fonds de jeux de mots. Résultat ? Plus de 500 Parisien·ne·s affamée·s ont fait la queue avant l’ouverture des portes de la première boutique, et une deuxième ouverture a vu le jour en avril 2024.
Qu’est-ce qui peut expliquer cet attrait pour les fast-food américains ?
– Le soft power américain : les consommateur·rice·s Français·e·s sont sensibilisé·e·s aux spécialités américaines par le biais de la pop culture (films, séries télévisées…), ce qui les rend encore plus attrayantes. Ces concepts américains les attirent dès l’arrivée de Five Guys en France en 2016, avec ses burgers personnalisables, ses cacahuètes en libre-service et la variété des sodas proposée. Il en va de même pour Shake Shack et ses frites ondulées. Il semblerait que l’exotisme de ces concepts ait réussi à charmer la population française, et fonctionnerait toujours avec les dernières enseignes qui se sont implantées.
– Les emplacements stratégiques : l’étude approfondie de la zone de chalandise a permis à ces chaînes de s’implanter dans des lieux de passage tels que la Gare Saint-Lazare et la Gare du Nord, ainsi que sous des formes inhabituelles pour ce type de restauration, telles que le travel retail (points de vente dans les gares et aéroports) ou les centres commerciaux.
– L’attractivité des prix : s’il faut débourser en moyenne 12,02 € pour un burger gourmet (Big Fernand, Les Burgers de Papa…), ceux des chaînes américaines demeurent accessibles à la plupart des bourses avec un prix d’appel à 9€. Bien que la qualité de leurs produits ne soit pas comparable, les chaînes américaines ont davantage de chance d’élargir leur cible (actif·ve·s, étudiant·e·s…), en raison des prix pratiqués.
– Les adaptations culturelles : l’adaptation est essentielle au succès d’une enseigne souhaitant se développer à l’international. Krispy Kreme a par exemple adapté les saveurs de ses produits, en proposant un goût de fruit plus prononcé pour le donut à la pomme, et un glaçage moins sucré pour celui à la fraise. De plus, une nouvelle variété de donut fourré à la pâte à tartiner spéculoos est proposée en boutique, une saveur appréciée des Français·e·s. Mais elle a également adapté sa stratégie de communication, en imaginant des campagnes de lancement pleines de références à la France.
– La provenance des ingrédients : l’approvisionnement local et l’attention portée aux labels est une preuve d’intégration culturelle réussie. Pour justifier leur présence en France, ces chaînes ont bien compris l’importance qu’accordent les consommateur·rice·s Français·e·s à la transparence, ainsi que leur envie de favoriser les circuits-courts et la filière biologique.
En conclusion, au-delà d’une stratégie marketing astucieuse qui a su reprendre les codes culturels français, ces chaînes de restauration rapide se sont également adaptées à l’évolution de la société française qui privilégie de plus en plus la commodité et l’accessibilité financière, dans un monde où les pauses-déjeuner sont de plus en plus courtes et où l’inflation est élevée.
Mathilde DENTAN et Irena WARE