Fred, le fondateur de La Recyclade, l'interview intégrale par Elise Jager.
Elise : Bonjour Fred, merci d’être avec nous sur RCF ! Alors vous travaillez à La Recyclade à Dijon, vous avez deux magasins, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu’est la Recyclade, quand vous l’avez créée et pourquoi ?
Fred : D’accord, bonsoir Elise ! Alors oui je suis Fred, je suis directeur et fondateur de la recyclerie « La Recyclade », car La Recyclade est une association de la loi de 1901 qui gère une recyclerie sur Dijon avec deux boutiques. Pourquoi je l’ai créée, parce que j’ai décidé de créer mon emploi à la suite d’un licenciement économique et de mettre mon expérience au service d’une cause qui me motive dans le reste de ma vie professionnelle. L’aventure a démarré, on a posé des statuts, en mars 2016 et on a ouvert notre première boutique en septembre 2017. La première boutique a donc plus de 3 ans et là au mois de décembre on a ouvert notre deuxième boutique !
Elise : D’accord et du coup on y trouve des vêtements de seconde main, c’est ça ?
Fred : Alors on y trouve des vêtements, mais pas que, mais beaucoup de vêtements oui. En fait les vêtements sont un des secteurs qui marchent très bien dans notre boutique.
Elise : D’accord, okay. Et donc est-ce que vous pouvez rapidement expliquer ce qu’est le principe et quels sont les différents types de services proposés ?
Fred : Alors le principe est très simple : l’idée est de donner une solution pour qu’un objet ne finisse pas en déchèterie. Que ce soit de la vaisselle, que ce soit des meubles, que ce soit des vêtements, etc, on en jette trop et il fallait trouver des espaces, et notre valeur ajoutée chez nous dans l’association c’est de trouver un avenir, de trouver des solutions pour que ces objets continuent de vivre. Donc on les récupère, ce sont des dons, et nous on les valorise de plusieurs manières : on les nettoie, on les contrôle, on les vérifie, on les répare ou on les transforme – c’est ce qu’on appelle nous le ré-enchantement – et on les met en vente dans la boutique. Les « bénéfices », donc ce qu’on gagne en boutique, servant à financer des emplois au sein de l’association. On veut prouver qu’un déchet peut être une ressource et peut créer de l’emploi.
Elise : Okay d’accord, c’est vraiment génial ! On a vu que vous proposiez des ateliers, est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ? Qu’est ce qu’il y a comme ateliers et comment est-ce qu’ils se déroulent ? Enfin là avec le contexte actuel ça doit être un peu en stand–by…
Fred : Oui c’est un peu compliqué en ce moment parce qu’on a pris le parti d’attendre un peu parce que ça fait peu de personnes – on est en général deux encadrants ce qui veut dire qu’on prend que quatre personnes – enfin tout est compliqué, voire même impossible.
Le principe est très simple : on s’est dit qu’on avait, nous, un certain savoir-faire dans plusieurs domaines, et que ce serait intéressant de le partager pour démultiplier encore les différentes solutions. Alors nos ateliers, ce sont par exemple des techniques de customisation de meubles – que ce soit du vernis colle, que ce soit de la patine – mais on a aussi, j’en ai une personnellement avec Michel, un de nos bénévoles, des ateliers de couture où on travaille sur des matériaux des bâches de récupération. Alors ces ateliers sont proposés à des débutants, par exemple pour la couture c’est des coutures droites, simples, on ne va pas tout de suite apprendre à faire des boutonnières. Mais ça permet de démystifier, d’apprendre au moins à utiliser une machine simplement et sur des coutures droites.
On a aussi des ateliers de transformation de palettes, avec lesquelles on fait des étagères, des patères, on fait tout un tas de choses, des bacs à fleurs, des choses comme ça.
On a des ateliers Comment ça marche ?, donc par exemple on va passer la soirée à démonter une machine à laver le linge qui va nous permettre de comprendre ce qui ce passe derrière cette grosse boîte blanche, comment ça marche et comment ça tourne, etc – tout ça pour lutter un peu contre l’obsolescence programmée, pour éviter de jeter un habit parce qu’il est simplement décousu ou déchiré, pour éviter de jeter une machine parce que juste la vidange est bouchée par des saletés. On continue dans cette philosophie de dire « on essaie de faire perdurer les objets ».
Elise : Tout ça me serait bien utile en tous cas !
Fred : Vous êtes la bienvenue, pas de soucis !
Elise : Bah oui et justement du coup ça attire beaucoup de monde en général ? Est-ce que vous avez vu une évolution ?
Fred : Oui alors les ateliers sont pleins, alors une évolution sur cette dernière année c’est un peu compliqué, puisqu’on va fêter nos 1 an de Covid, donc un an où les ateliers se font en pointillés. En ce moment on a beaucoup de demandes pour des cafés réparations, où vous venez avec vos appareils en panne et avec vous on va essayer de les réparer ou au moins de poser un diagnostic, comme ça au moins vous savez ce que vous pouvez faire avec -ou pas. [Elise : d’accord] Alors oui c’est compliqué… Je ne peux pas parler d’évolution, nous on est de plus en plus demandés, c’est certain, mais là on ne propose plus rien puisqu’on a plus la capacité de se réunir. Et ces ateliers ont, ceci dit sur les 3 ans, on a une progression constante et on a des demandes de plus en plus pressantes.
On a aussi une particularité ici à Dijon, c’est qu’on propose une bricothèque. C’est un espace où vous pouvez louer du matériel à prix solidaire, et comme ça vous pouvez bricoler chez vous. Si vous voulez faire une magnifique table en palette, au lieu d’acheter une ponceuse, une visseuse, une scie sauteuse, qui va vous coûter une centaine d’euros, vous pouvez la louer pour 15€ et vous avez une belle palette que vous aurez pu faire chez vous – à prix solidaire !
Elise : Okay super ! Alors du coup pour parler un peu du marché du textile, plus globalement qu’est ce que vous en pensez aujourd’hui dans l’état actuel ? Comment est-ce que vous pensez que ça peut évoluer ? Est-ce que vous avez des constats… ?
Fred : Alors moi ce que je peux vous dire c’est que le volume d’habits de seconde main est monstrueux. On en récupère toutes les semaines, et c’est très bien parce que ce sont des habits en bon état ! Mais il y en a beaucoup, c’est comme les livres, il y en a énormément ! On en propose beaucoup à tout petit prix à la boutique, ça va de 0,50€ à 10€, avec une moyenne à 2,5€, mais il y en a énormément. Moi j’ai toujours une interrogation : pourquoi les friperies se cassent la figure, il y en a plusieurs sur Dijon qui ont fermé. Je n’arrive pas à connaître la cause parce que quand on pratique des petits prix ça marche, ça part. Ceci dit, on n’ouvrira pas, nous, une recyclerie spécialisée dans un seul domaine – c’est-à-dire on n’ouvrira pas de friperie par exemple. On restera sur de la recyclerie où lorsque vous venez vous pouvez aussi bien acheter de la vaisselle qu’acheter un CD, un DVD ou un petit meuble.
Elise : Et sinon, plus globalement encore : selon vous, c’est quoi le meilleur moyen d’avoir une démarche durable et responsable en termes de consommation de vêtements. Par exemple si vous avez des conseils… ?
Fred : Je pense qu’il ne faut pas hésiter à acheter des vêtements d’occasion, parce qu’on s’aperçoit dans ce qu’on nous donne qu’on a bien souvent, alors ce n’est pas tout le temps, mais bien souvent des vêtements neufs qui n’ont jamais été porté, qui voire même ont toujours l’étiquette du magasin. On récupère aussi des stocks d’invendus des magasins – alors bien sûr on ne colle pas à la mode, les habits qu’on récupère ont un, deux, trois ans, mais il faut qu’on apprenne à prendre du recul par rapport à cette pression de consommation sur la mode. On a de tout, et je pense qu’on pourrait clairement, mais c’est vrai pour beaucoup d’autres choses, arrêter de produire des vêtements et on aurait de quoi équiper tout le monde pendant dix ans, sans problèmes.
Elise : Du coup en tout vous êtes combien de bénévoles ? Et est-ce que, c’est peut-être un peu indiscret, est-ce que vous réussissez quand même à fournir des salaires ? Ou alors c’est vraiment du bénévolat pur ?
Fred : Alors je vais répondre très simplement : j’ai dit tout à l’heure que le bénéfice des ventes servait à créer des emplois. Aujourd’hui dans l’association, deux boutiques, on a créé quatre emplois. Donc les emplois ce sont des emplois de salariés, temps plein. Ce sont des emplois classiques, pérennes, 35h. Les salaires ne sont pas élevés, il ne faut pas se le cacher, on est au début d’une aventure, ça fait que trois ans qu’on est là. Mais nos ventes, dans les magasins, plus les ateliers, plus la bricothèque… on est à l’autofinancement. C’est-à-dire qu’on sait qu’une boutique finance le loyer et deux emplois. C’est le modèle économique qu’on défend – et ça marche ! Donc il n’y a pas de raison qu’on s’arrête là et il y aura peut-être une troisième recyclerie, un troisième magasin qui pourra nous financer encore deux autres emplois.
Elise : Donc au niveau des ateliers par contre c’est vraiment du bénévolat de la part de vous-même et puis d’autres personnes ?
Fred : Alors les ateliers c’est soit des bénévoles soit nous les salariés qui les gérons. Au niveau des bénévoles on a 35-40 personnes qui sont là toutes les semaines à leur convenance, comme ils peuvent. Il y a des salariés d’autres entreprises, il y a des gens qui sont à la retraite, des gens qui sont à la recherche d’emploi, plusieurs profils… des gens qui sont en arrêt maladie, etc. On travaille aussi par exemple avec des différentes écoles, donc on a les BSB [Burgundy School of Business, école de commerce dijonnaise] dont les étudiants dans leur cursus doivent faire une mission de 40h dans une association. On reçoit 15 étudiants de cette école.
Elise : Ah par an ?
Fred : Oui, oui
Elise : C’est bien, ça vous fait de la main d’œuvre !
Fred : Ouais c’est ça ! C’est donnant-donnant pour tout le monde : ils découvrent une activité qui n’est pas très connue dans le monde des étudiants encore, malheureusement, les recycleries – et nous ça nous aide parce que c’est des petits gars et petites filles qui vont bien ! C’est vraiment sympa en plus, l’ambiance !
Elise : Et du coup j’ai vu que vous aviez quand même des réseaux sociaux, vous avez Instagram, Facebook et tout… Vous les gérez vous-mêmes ?
Fred : Oui oui, on fait tout nous-mêmes. On est des fous dingues, on est des geeks !
Elise : Mais c’est génial !
Fred : Alors moi les réseaux ce n’était pas ma tasse de thé mais j’ai découvert qu’effectivement ça marchait bien ! C’est-à-dire que quand on partage et des photos et quand on diffuse des infos ça va vite et ça marche très bien.
Elise : Je voulais juste savoir si vous pensiez que les réseaux sociaux apportent beaucoup de clientèle dans la boutique ? Est-ce que c’est plutôt du bouche-à-oreille ?
Fred : Il y a deux, il y a encore beaucoup de gens qui ne sont pas sur les réseaux. On a aussi beaucoup de gens qui n’ont pas internet (ça existe !), des gens qui n’ont pas de portable, qui sont contre Facebook. Par contre on a aussi, je pense qu’on est à 3000 – 4000 personnes qui nous suivent. Ce qui est sûr c’est qu’à chaque fois qu’on met des publications avec des trucs sympas, ce sera réagi dans le quart d’heure et il y a des gens qui nous appellent pour réserver, pour venir, ou qui sont même là dès qu’on a publié. Donc c’est plutôt positif, ça marche bien. C’est un appui, c’est de la pub – je le considère comme de la pub super importante. Et on est relativement agressifs – quand je dis agressifs je dis on essaie d’être assez présent.
Elise : Vous avez bien raison, c’est ce qu’il faut ! Même quotidiennement, les gens vivent avec ça, ce n’est même pas de l’agressivité, c’est le quotidien quoi. Du coup les filles vous avez des questions ?
Judith : Alors pour en revenir aux vêtements, est-ce que ce n’est pas trop long de trier tous les vêtements que vous récupérez ?
Fred : Si si, ça nous prend un temps fou ! Mais ça va aussi assez vite parce que quand on demande des vêtements, par exemple quand les gens nous les amènent, assez naturellement ils ont déjà fait le tri et un nettoyage. Mais ça nous est arrivés qu’on avait des sacs poubelle où c’était dégoutant, pas lavé, sale, etc, là ce n’est pas très sympa pour nous, trieurs. Avec l’expérience ça va assez vite, mais vu ce qu’on a comme volume ça nous bouffe des heures ! Hier, par exemple, on a trié une trentaine de sacs de courses, ça a été deux personnes pendant 8 heures. Et des sacs on en a 300 à rapporter. [Judith : c’est quand même long !] Oui c’est long, mais on a aussi de belles surprises, des trucs sympa – et on les met en vente entre 2 et 3€ pour tout ce qui est des hauts et des pantalons. On a des promos, des pantalons à 1€ par exemple. On a beaucoup de pantalons, donc on fait des promos à 1€ avec des pantalons neufs, des marques.
Judith : Et des vêtements qui ne sont pas achetés, qu’est-ce que vous en faites ?
Fred : Alors il y a plusieurs solutions. On les met en vente dans les boutiques, si on ne les vend pas… on a un système de gommette et de code, on sait depuis combien de temps ils sont dans la boutique parce qu’on en a beaucoup, mais ça se trouve il y en 80% qui se vend jamais, qui seront toujours là, on n’en rajoute qu’un petit peu. Ces vêtements là on les donne, à un moment on les sort, on les met dans un autre espace, l’espace dons, les gens se servent et partent avec. On en a donné aussi à des associations qui en avaient besoin, comme la Croix Rouge. Quand ils sont vraiment foutus on les met pour la récup’ dans les bornes relais, mais il y en a très peu. Je vais vous donner un exemple : on avait un blouson qui était un peu déchiré, et on a décidé de le mettre sur l’espace dons. Il y a quelqu’un qui a dit « Oui mais c’est déchiré… ». Un quart d’heure après il y a une personne qui était là qui a dit « Ah génial ! Je le prends ! » « Vous allez le réparer ? » « Non non, pas du tout, je vais récupérer la fermeture éclair ! Plutôt que d’en acheter une, il est foutu il est foutu, mais je récupère la fermeture éclair, ça va me servir à réparer un autre blouson ! », bon voilà. Donc ça aura servi au moins à quelque chose un temps. Et la fois d’après elle était là avec ses ciseaux et elle récupérait directement sur place, au lieu de remmener chez elle !
L’idée pour nous demain, pas forcément dans l’immédiat, mais il y a en ce moment des personnes qui travaillent sur des nouveaux isolants pour les maisons à partir de vêtements et de textile, et je pense que pour nous ça peut être intéressant de voir si on ne peut pas développer ce genre de technique et de technologie vu les volumes qu’il y a. On a un petit souci sur Dijon c’est que la SDAT, qui avait une vêtementerie, arrête, donc on se retrouve nous avec des volumes de dons de plus en plus grands et il faut qu’on se dépatouille avec tout ça.
Camille : Pour l’instant vous avez des boutiques sur Dijon, est-ce que vous avez comme projet d’étendre ça sur d’autres villes ou pas du tout ?
Fred : Ouais ce serait intéressant ! Moi ça m’intéresserait effectivement de développer ça. Avant de monter ce projet j’ai fait un tour de France des recycleries et même en Bretagne dans les petits villages les recycleries fonctionnent. Alors peut être qu’elles ne financeront pas deux emplois, mais rien qu’un emploi suffirait et prouverait qu’on peut faire quelque chose avec du déchet. Donc oui ! Quand ? Je ne sais pas, parce que ça prend du temps, il faut trouver des locaux pas très chers pour pouvoir mettre en place des choses pour pouvoir créer de l’emploi justement ! Et là cette année on va essayer, en 2021, de monter une formation pour permettre à des gens qui veulent monter leur recyclerie d’en créer une, que ce soit un peu partout en France ou dans un village. Donc on a pris le parti aussi d’accentuer ce volet de formation, mais il y en aura plein d’autres des petites recycleries !
Camille : D’accord, vous avez plein de projets en tous cas, c’est super !
Elise : C’est vrai que le marché de la seconde main c’est quelque chose qui explose en ce moment, on voit que ça ! Même avec les applis comme Vinted.
Fred : Oui, mais paradoxalement je trouve qu’on n’a encore pas beaucoup de monde. Je te donne un exemple : quand je vais faire les courses le samedi il y a un monde ! C’est monstrueux ! Et ils achètent des choses qu’on trouve chez nous ou dans les recycleries d’une manière générale. Mais il pourrait y avoir encore plus de monde, ça avance mais c’est long. Ce n’est pas dans notre culture, contrairement au Canada ou au Québec où ça fait 20 ans qu’ils ont des recycleries. C’est toute une autre mentalité, ils vont déjà penser recyclerie avant de penser grande surface. Nous ce n’est pas encore tout à fait ça.
Elise : De plus en plus mais c’est vrai que ça prend du temps.
Fred : C’est de la culture, donc on est dans un changement de mentalité, de consommation… et on voit aussi le poids des lobbies avec de la pubs et tout ça, ça fait mal, avec des Amazon aussi avec des prix qui sont cassés et des produits qui viennent de l’étranger. Je ne dis pas qu’il n’en faut pas ! Mais il faut aussi penser, le résultat c’est : au bout du compte ces gens-là font fortune, tant mieux pour eux, mais c’est grâce à nous. C’est nous qui achetons. Vraiment, la situation changera si nous changerons directement.
Elise : Merci beaucoup en tous cas ! Merci d’avoir pris le temps de nous parler ! Du coup La Recyclade est ouverte en ce moment, dans vos deux boutiques. Vous pouvez peut-être redire l’adresse pour les auditeurs si jamais ils veulent venir faire un petit tour ?
Fred : Oui alors on a une boutique dans le quartier des Bourroches, au 11 rue du Nuits Saint-Georges, et une boutique dans le quartier Montmuzard : 5 rue de l’Est. Les deux boutiques sont ouvertes du mardi au samedi de 14h à 18h.
Elise : Okay super, merci beaucoup !
Fred : Merci à vous et au plaisir de nous rencontrer et de se croiser dans les boutiques !
Vous voulez en savoir plus ? Réécoutez la 5ème émission du Curious Live, « La mode éthique », sur rcf.fr (lien : https://rcf.fr/actualite/la-mode-ethique) !
Précision : Cet interview a été réalisé sur Zoom. Retranscription par Eva den Broeder.