“C’était la dernière séquence / C’était la dernière séance / Et le rideau sur l’écran est tombé”.
Voilà plus de cent jours que les paroles d’Eddy Mitchell résonnent dans les têtes et dans les salles obscures. Cent jours que le public patiente, dans l’attente de nouveaux voyages au sein du 7ème art.
Le 07 février 2021 a marqué ce centième jour. C’est la première fois que ces lieux culturels restent vides sur une aussi longue durée, et à cause de la pandémie ils font à présent face à une crise inquiétante. Le monde du cinéma a dû réfléchir et se réinventer pour diffuser des films.
Avant 2020, l’industrie cinématographique mondiale affichait de bonnes projections avec des recettes mondiales au box-office qui augmentaient régulièrement ces dernières années. En 2019, les recettes mondiales au guichet ont atteint 35 milliards d’euros. Les États-Unis et le Canada formaient ensemble le plus grand marché, suivis par la Chine, le Japon et le Royaume-Uni.
Selon le rapport du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) en 2019, les entrées ont augmenté de 6 % pour atteindre 213,02 millions. Autrement dit : 1,4 milliard d’euros de recettes. Si les long-métrages américains sont les films les plus visionnés en France, le film de Philippe de Chauveron, Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, arrive dans les 10 premiers.
Les Français restent malgré tout chauvins et grâce à des succès de films tels que Hors normes, Les Misérables, etc., les films francophones représentent 35% des entrées dans l’Hexagone. L’amour des Français pour le cinéma n’est plus à prouver étant donné que deux tiers d’entre eux sont allés au moins une fois au cinéma en 2019.
Mais tout a basculé avec l’arrivée de la crise sanitaire : les cinq plus grand box-office de 2020 tels que Bad Boys For Life, 1917, Sonic le film, Jumanji : Next Level, Star Wars : l’Ascension de Skywalker sont tous sortis avant le confinement.
Fier étendard de la puissance américaine, Hollywood symbolise à lui-seul le poids du cinéma dans l’économie mondiale. Et les studios incarnent également les conséquences désastreuses que la pandémie a engendré sur le milieu cinématographique : avec une baisse record de 80% de ses recettes en Amérique du Nord et 274 sorties de film repoussées, le géant se trouve lui aussi dans la tourmente.
Le monde du cinéma a été contraint de baisser le rideau à cause de la crise sanitaire. Ce cauchemar commence dès le premier confinement le 17 mars 2020, lors duquel le monde a été paralysé en raison de la COVID-19, ce qui nous a amené à changer complètement nos manières de vivre. Confinés pendant plus d’un mois, les Français voient l’arrivée d’un ensemble de politiques et de restrictions des contacts humains. Tous les endroits considérés comme non nécessaires ont été fermés, y compris les cinémas.
Nous sommes maintenant en février 2021. En presque un an nous avons vécu deux confinements, une paralysie économique et des nouvelles restrictions pour tous les citoyens. Les cinémas ont pu ouvrir quelques semaines pendant la saison estivale 2020, mais cela a été de courte durée et ils ont dû fermer à nouveau fin octobre 2020. Pendant leur ouverture, des restrictions étaient imposées telles que le masque obligatoire, un mètre de distanciation sociale et gel hydroalcoolique avant, pendant et après la séance.
Entre ouvertures et fermetures, leur capacité d’accueil a chuté de près de 70% en France en 2020, selon le journal Le Monde. La pénurie de films à l’affiche a également été un déclencheur de la crise du cinéma. Les salles ont ainsi enregistré 65,10 millions d’entrées, contre plus de 210 millions en 2019, selon le rapport annuel du Centre National du Cinéma (CNC). Avec cette crise, les sorties de nombreux films ont été repoussées.
Les intermittents du spectacle, très fortement touchés par cette crise, se sont retrouvés sans emplois et sans revenus, et essaient tant bien que mal de se faire entendre pour obtenir de l’aide et des changements. Comme l’acteur français Pierre Niney qui a échangé avec la Ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, en l’interpelant sur Twitter. Dans son tweet, il exprime son incompréhension et son inquiétude par rapport aux cinémas, musées ou théâtres fermés depuis 100 jours alors que d’autres lieux, tels que les grands magasins ou encore les compagnies aériennes sont ouverts et autorisent l’agglutinement d’un grand nombre de personnes. Le gouvernement se dit conscient de la frustration que la Covid apporte et explique que c’est en effet une situation très compliquée à appréhender.
Les grandes productions décident alors d’oublier les grands écrans, en attendant que la pandémie passe au plus vite. Leur solution : sortir le blockbuster en ligne en utilisant le streaming. Afin de redynamiser le marché et se réinventer, ils ont choisi des plateformes telles que Netflix, Amazon Prime, Disney +, etc. Bien que celles-ci aient connu une croissance fulgurante ces dernières années, avec un passage de 30 à 500 millions d’abonnés entre 2010 et 2019, la Covid–19 a fait exploser l’émergence de ces plateformes. Selon Sandvine, le streaming vidéo occupe désormais 60% du trafic global sur Internet.
Pour combler le vide des salles de cinéma et compenser leur absence, d’autres plateformes de streaming se sont vu obtenir une plus grande audience. Celles-ci mettent en avant un aspect du cinéma différent des gros noms de streaming mais aussi des prix attractifs qui donne au public un choix de plus en plus varié. La plateforme Univerciné propose ainsi plus de 700 films principalement français mais aussi étrangers, et ce pour 6.99€ par mois. La plateforme anglaise Mubi est, quant à elle, spécialisée dans les films d’auteurs pour 29.99€ les trois mois. Ainsi les cinéphiles se retrouvent avec un large choix en fonction de leur préférence.
Cependant, malgré ces alternatives, ces restrictions handicapent encore de nombreuses réalisations qui doivent repousser leurs films, comme le fameux James Bond : Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga dont la sortie initiale était prévue en mars dernier et qui est repoussée à avril 2021 ; ou encore le film français OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire de Nicolas Bedos, initialement prévu pour février 2021 et décalé au 14 avril 2021. De plus, cette attente risque de mettre en arrière-plan certains films indépendants, le nombre de place pour la diffusion sera en effet insuffisant…
Même si beaucoup de productions et de tournages sont retardés, certains ont réussi à reprendre malgré les conditions difficiles. En pleine pandémie, le réalisateur américain Sam Levinson a pu tourner le film Malcom & Marie avec les deux acteurs John David Washington (Tenet) et Zendaya (Euphoria). Celui-ci a été produit en huit clos avec une équipe très réduite. Ce film en noir et blanc, sorti sur Netflix le 5 février 2021, se déroule en une soirée où nous découvrons de fil en aiguille la raison du conflit entre le couple d’artistes. Ce film a reçu de nombreuses critiques et que celles-ci soient positives ou négatives, Levinson, tout en réalisant un long métrage de qualité avec des plans très intéressant, a pu démontrer que la crise sanitaire n’empêchait pas de faire vivre la culture. En France, la reprise de la production est là-aussi autorisée à condition de respecter les règles sanitaires.
A quoi pourrait donc ressembler le cinéma dans l’après-Covid ? Sur cette question, un terme revient souvent dans la discussion : celui du changement. Un changement profond nécessaire pour un milieu en perte de vitesse et sans réelle évolution depuis plusieurs années. Selon Thierry Spicher, responsable de la boîte de distribution Outside The Box, « la crise liée à la fermeture des salles arrive sur une crise qui est préexistante dans le cinéma ». Autrement dit, la crise actuelle permet de mettre en lumière une crise bien plus profonde, et serait ainsi une opportunité à saisir. Le modèle économique va donc être bouleversé et les plateformes vont prendre plus de poids dans la balance. Celles-ci sont en réalité déjà beaucoup impliquées dans la mutation que connait le secteur, puisqu’elles ne sont plus seulement des lieux de diffusion, mais également des lieux de production. Les acteurs du cinéma vont donc devoir se réinventer sous peine de voir la crise économique prendre le pas sur celle sanitaire.
S’il est vrai que certains films sont passés directement en streaming, peu de producteurs ont choisi de franchir le pas. Selon Laurent Dutoit, directeur du cinéma Les Scala, « c’était surtout un choix politique des studios pour faire la promotion de leur plateforme ». Une concurrence peu menaçante donc ? Pour beaucoup, les salles sont aujourd’hui irremplaçables, et les plateformes pas encore assez rentables. Pour Anne Flamant, directrice du département Cinéma et audiovisuel de la banque Neuflize OBC : « la force du cinéma, c’est sa rentabilité ». Un film à succès aura une rentrée d’argent beaucoup plus importante dans les salles que s’il est vendu à une plateforme pour un montant fixe.
Il faut cependant dès à présent repenser le système en place pour s’adapter à l’évolution perpétuelle des nouvelles technologies. Car si le cinéma est un peu à la traîne sur ce terrain, les plateformes en ligne ont bien compris l’intérêt de s’inspirer de la tradition pour aller de l’avant. Avec Teleparty (anciennement Netflix Party), outil permettant de visionner un film en même temps à plusieurs et de réagir en direct, le géant américain a saisi l’importance d’une sociabilisation culturelle que procure une salle de cinéma. Tout comme le fait de laisser les manettes de films à gros budgets à des réalisateurs de renom (Martin Scorsese, David Fincher, Jean-Pierre Jeunet chez Netflix, Mélanie Laurent chez Amazon), dont l’objectif est tout simplement d’ouvrir la voie à une nouvelle façon de consommer du bon cinéma, bien installé depuis chez soi.
Quid des chaînes de télévision ? Vont-elles se laisser croquer par Internet et ses catalogues resplendissants ? Certaines résistent encore et toujours à l’envahisseur. Comme c’est le cas pour Arte, qui a décidé de contre-attaquer directement sur le terrain de l’ennemi. En lançant sa propre plateforme de séries gratuite Arte.tv, la chaîne historique a fait un grand pas dans l’évolution vers les nouvelles pratiques. L’objectif ici n’est non pas de concurrencer, mais de « réparer une injustice », selon Alexandre Piel, directeur adjoint de la fiction chez Arte France. Cette offre permet de proposer du contenu indiffusable à la télévision, du fait de leur format ou du volume autorisé en prime, et tout cela gratuitement. Un atout mis en avant par la chaîne dans sa stratégie de communication pour se démarquer des plateformes payantes.
Et Arte ne compte pas s’arrêter là. Le groupe franco-allemand se lance aussi en live sur Twitch et YouTube, plateformes bien connues de la jeune génération, dans le but d’élargir encore son public. L’avenir de la télévision se passera-t-il donc sur Internet ?
L’univers cinématographique est au plus mal depuis que la crise sanitaire a forcé les cinémas à fermer. Celui-ci perd donc peu à peu sa place dans le monde audiovisuel au profit des plateformes de streaming aujourd’hui très nombreuses et incontournables pour la plupart d’entre nous.
Une crise économique sans précédent se prépare à prendre la relève de celle sanitaire qui secoue la planète. Et si cette crise s’avérait finalement positive ?
Le monde du cinéma n’est pas mort : une reprise de nombreux tournages est prévue pour le printemps, les adeptes des salles obscures se disent prêts à y retourner dès lors qu’elles rouvriront et pour beaucoup, rien ne remplacera un visionnage sur grand écran. La situation permet également aux grands noms du milieu d’ouvrir les yeux sur la nécessité d’un changement immédiat. Descendre au plus bas pour mieux remonter, tel pourrait être le crédo du monde cinématographique lors des prochains mois.
Article rédigé par Emma Barat, Lucile Bau, Etienne Boulay, Florenc Kociasi et Valéria Morales Valencia.