Comment les réseaux sociaux influencent-ils les habitudes alimentaires des jeunes ? Retour sur les Journées InfluAlim.

Les 9 et 10 novembre derniers, enseignant·e·s et chercheur·euse·s se sont réunis dans le cadre de la première édition des Journées InfluAlim. Consacrées à l’étude des pratiques numériques sur nos habitudes alimentaires, il s’agit d’un sujet qui intéresse activement la recherche en Sciences de l’Information et de la Communication. Quelle influence les réseaux sociaux peuvent-ils avoir sur les comportements alimentaires des jeunes ?

Lors des Journées InfluAlim qui se sont tenues à la Maison des Sciences de l’Homme à l’Université de Bourgogne à Dijon, enseignant·e·s et chercheur·euse·s étaient réuni·e·s pour présenter leurs résultats devant de nombreux chercheur·euse·s, étudiant·e·s et professionnels de la communication. Deux conférences ont été dédiées à l’usage des réseaux sociaux et des enjeux sur les comportements alimentaires des adolescent·e·s. La première, “Des corps et des assiettes sur les réseaux sociaux : représentations et pratiques chez les adolescent·e·s”, fait état des travaux de Clémentine Hugol-Gential. Directrice du master MASCI, professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication et directrice adjointe du laboratoire de recherche CIMEOS. Les tendances alimentaires relayées massivement sur les plateformes y sont étudiées pour mettre en lumière les conséquences directes sur les jeunes générations, notamment quant aux Troubles des Conduites Alimentaires (TCA).

Quant à la deuxième présentation, portant sur  “L’alimentation des jeunes sous influence : regards croisés et pistes de prévention”, elle croise les études de Léa Gruyer, doctorante à l’Université de Bourgogne au sein du laboratoire CIMEOS, et Marjorie Constantin, doctorante à l’Université de Montpellier 3 au laboratoire LERASS. Toutes deux chercheuses en Sciences de l’Information et de la Communication, leur intervention porte sur l’éducation alimentaire des enfants, et les influenceur·euse·s food.

Les Journées InfluAlim Source : Master MASCI

Quelles méthodes de recherche pour appréhender les réseaux sociaux ?

Sur les réseaux sociaux, les influenceur·euse·s partagent leurs régimes alimentaires, ce qui peut impacter les jeunes puisque c’est à l’adolescence qu’iels se construisent.

Pour mesurer cet effet, plusieurs dispositifs ont été mis en place par les trois chercheuses :

  • deux veilles quotidiennes pendant trois mois des comptes de 50 influenceur⸱euse⸱s,
  • une analyse de la transmission des discours d’influenceur⸱euse⸱s,
  • une enquête par questionnaire auprès de 358 jeunes âgé·e·s de 13 ans à 18 ans.

Léa Gruyer a dédié une partie de sa recherche à l’analyse de la transmission des discours d’influenceur·euse·s. Pour cela, elle s’est concentrée sur l’étude de six micro-célébrités cuisine présentes sur Instagram et TikTok, plateformes utilisées en moyenne deux heures par jour par les 11-14 ans. Elle s’est fondée sur trois axes :

  • l’étude des profils, 
  • l’étude des contenus postés sur les réseaux sociaux et les interactions avec les abonné·e·s,
  • l’adaptation selon la plateforme utilisée. 

Dans le cadre de cette étude doctorale, 222 élèves de 4e et 5e de Côte d’Or ont été sensibilisés aux enjeux de l’influence alimentaire. Ces deux interventions de deux heures réalisées avec le soutien de la Fondation Roquette pour la Santé ( Fondation qui soutient des projets innovants dans les domaines de l’alimentation et de la nutrition) ont également permis de connaître leurs attentes concernant les contenus food qu’iels aimeraient voir sur les réseaux sociaux

Pour mesurer les comportements alimentaires des plus jeunes, Marjorie Constantin s’est rendue sur quatre sites différents pour participer à la co-construction d’“Ateliers cuisine”. Le projet, présenté au Conseil Municipal des Enfants de Montpellier, visait l’adoption d’une alimentation plus saine par les enfants. Une image d’un camion cuisine leur était projetée et l’audience devait énumérer les ingrédients des recettes.

Marjorie Constantin et Léa Gruyer Source : Master MASCI

Réseaux sociaux et alimentation : quels constats ?

Les résultats de ces différentes recherches convergent : les réseaux sociaux ont un impact considérable sur l’éducation des jeunes générations (Rapport – La femme invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme – Haut conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. (s. d.)). Les représentations des corps et du rapport à l’alimentation engendrent des changements de comportement chez les plus jeunes. Or, les réseaux sociaux reflètent une vision du corps stéréotypée, à laquelle les jeunes sont exposé·e·s très tôt.

Par exemple, une collégienne en classe de 4ème interrogée sur sa vision de la morphologie féminine et masculine a répondu : “Le corps idéal pour une femme c’est un corps en sablier et pour un homme, c’est un corps en cintre”.

De ces études et travaux ressortent des résultats incisifs montrant le poids des stéréotypes dans la représentation de l’esthétique corporelle. Sur les réseaux sociaux, les tendances alimentaires sont représentées en fonction d’une morphologie : un corps mince et musclé est associé à une alimentation saine. Les jeunes filles sont exposées à des corps féminins minces, beaux et sexualisés. A l’inverse, les jeunes hommes subissent la pression du corps performant, musclé et sportif. On valorise pour eux la consommation d’aliments hyper-protéinés pour favoriser le développement de la masse musculaire.

Outre les conséquences sur les corps, les réseaux sociaux influencent aussi les régimes alimentaires. Comme l’explique Clémentine Hugol-Gential, trois tendances bien distinctes se dessinent  sur les plateformes :

  • le plaisir : le #foodporn comptabilise 304 millions de publications,
  • la santé : le #healthy en compte plus de 119 millions, 
  • les enjeux environnementaux : le #greenfood, avec plus de 800 000 utilisations.

Aussi, les contraintes et les attentes autour des pratiques alimentaires sont nombreuses, et dépassent de loin les enjeux nutritionnels. Il s’agit d’adopter une alimentation qui soit “bonne” en prenant en compte toute la polysémie du mot : bonne à manger, bonne à penser, bonne pour la santé et bonne pour la planète. Cependant, l’adolescence est la période où le risque de développer des TCA est le plus important (Marti, C. (2022). #Foodporn : nourrir le dispositif par les images: Captations culinaires et variations infra-publicitaires sur Instagram. Communication & langages, 213, 107-122. https://doi.org/10.3917/comla1.213.0107). Les jeunes sont en effet exposés à des tendances alimentaires contradictoires, ce qui peut déséquilibrer leurs rapports à la nourriture et aux corps.

Léa Gruyer et Marjorie Constantin ont observé que cette influence impacte également les comportements des internautes. Les intentions d’achat se développent en fonction des pratiques mises en avant sur les différentes plateformes. Une personne qui suit un·e influenceur·euse sport est plus encline à acheter du matériel sportif. Les recettes de cuisine présentées par des influenceurs sont également reproduites. Enfin, les réseaux sociaux sont devenus de véritables instruments de sociabilité, autant sur le plan scolaire que familial. Ainsi, un enfant a tendance à suivre le compte d’un·e influenceur·euse car ses camarades en parlent. 

Les influenceur·euse·s, à travers une mise en scène de leur vie, maîtrisent parfaitement les contraintes imposées par les plateformes pour rendre leur contenu attrayant et divertissant. Iels misent sur une stratégie de sincérité et d’authenticité pour fidéliser leur communauté. Cependant, cette stratégie ne reflète pas la réalité : l’influence est un monde fait de codes et d’apparence et les jeunes sont les premières victimes. 

Clémentine Hugol-Gential Source : Master MASCI

De l'enjeu de l'éducation aux médias dès le plus jeune âge

Sur les réseaux sociaux, les influenceur·euse·s s’appuient sur leur communauté d’abonné⸱e⸱s pour promouvoir certains produits. Cependant, les adolescent⸱e⸱s traversent une période clé où iels sont facilement influençables.

La France est devenue en juin 2023, le premier pays européen à légiférer sur le secteur de l’influence numérique. Mais la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 exclut certains domaines, comme les produits alimentaires et les compléments alimentaires.

Pour pallier cette absence de législation, la prévention est primordiale. Léa Gruyer et Marjorie Constantin proposent notamment : 

  • des rencontres entre jeunes et influenceur·euse·s pour permettre un moment d’échange,
  • des groupes de discussions entre jeunes et médiateur·ice·s pour mettre en garde sur les limites des réseaux sociaux et de l’influence,
  • des séances de sensibilisation auprès des influenceur·euse·s pour réfléchir à des solutions pour réglementer leur domaine.

Les Journées InfluAlim ont mis en lumière les travaux des chercheur·euse·s sur les pratiques numériques liées à l’alimentation.

Clémentine Hugol-Gential, Léa Gruyer et Marjorie Constantin ont mis en place de nombreux dispositifs pour mesurer cette influence sur les plus jeunes. Leurs résultats montrent qu’iels sont exposé·e·s à des tendances alimentaires diverses, partagées entre manger sainement, rester en bonne santé, et se soucier des enjeux environnementaux. Cependant, face à une absence de réglementation du milieu de l’influence sur l’alimentation, le devoir de prévention auprès des jeunes générations est primordial. En effet, les réseaux sociaux représentent un monde codé et stéréotypé où la pluralité des corps n’existe pas. 

Face à cette absence de diversité de représentations, les internautes répondent par l’activisme. Le body positivism, mouvement popularisé sur les réseaux sociaux, met en lumière les corps invisibles dans les médias traditionnels. Il résulte d’un ras-le-bol de la médiatisation du “corps parfait”. Plusieurs photos présentant de la cellulite ou vergetures sont alors publiées sur les plateformes. 

Dans ce même esprit, le fatactivism dénonce la discrimination systématique des corps gros. Cependant, ces deux mouvements sont utilisés par les marques à des fins commerciales, ce qui remet en cause les enjeux initiaux.

Carla Da Silva et Lina Frikech Laraki