Ces dernières années, la publicité télévisée est devenue un nouveau support de communication pour les fêtes de fin d’année. Parmi les marques qui l’ont plébiscitée, John Lewis, enseigne anglaise haut de gamme, se démarque grâce à une publicité dévoilée durant la deuxième semaine de Novembre. Quelles sont les raisons du succès de leur campagne de Noël ?
John Lewis, bien plus qu’un grand magasin…
Regroupant actuellement 34 points de vente répartis dans tout le pays, la chaîne de grands magasins John Lewis a été fondée en 1864. Aujourd’hui, la John Lewis Partnership (JLP) constitue l’un des détaillants majeurs du pays. La mercerie originelle fondée par John Lewis située sur Oxford Street, avenue commerçante principale de Londres, est devenue le flagship store de la marque.
En France, elle est comparable aux Galeries Lafayette, et commercialise essentiellement du prêt-à-porter, du mobilier, de la décoration et de l’électroménager. En 2022, l’enseigne réalisait un chiffre d’affaires de 3,8 milliards de livres sterling, et cible une catégorie socio-professionnelle supérieure.
Une communication bien menée
Chaque année depuis 2007, et durant la deuxième semaine de novembre, la marque diffuse sa publicité de Noël. L’attente de cette dernière est même devenue une véritable tradition pour les anglais. Si pendant longtemps, John Lewis était considéré comme un magasin dont les produits étaient onéreux, cette croyance a basculé grâce à l’adoption d’un storytelling spécifique. Soudain, au lieu d’une simple présentation de produits, la communication de la marque anglaise s’est axée sur la narration et l’engagement émotionnel de son public. Une invitation captivante incitant à s’installer confortablement et à vivre une histoire émouvante.
C’est véritablement à partir de 2011 que les campagnes commencent à gagner en efficacité. D’après le site LittleBlackBook.com, sur les réseaux sociaux, “près de 19 000 personnes ont liké la publicité de Noël 2011 sur YouTube, regardée par plus de quatre millions de personnes. Et dans les six heures qui ont suivi le lancement de la publicité “The long wait“, le terme “John Lewis Christmas” était en vogue dans le monde entier sur Twitter et les mentions de la marque ont augmenté de 1 500 %.”
Cette époque marque un tournant dans le succès de ses campagnes, la marque est alors récompensée par l’Institute of Practitioners in Advertising lors de l’édition 2012 des IPA Effectiveness Awards, et reçoit le premier prix décerné aux entreprises qui démontrent les retombées marketing de leurs campagnes. Les publicités sont diffusées à la télévision anglaise ainsi que sur les réseaux sociaux de la marque (Instagram, Facebook, Twitter, Youtube…). Ces campagnes coûteuses, représentant un investissement de plusieurs millions de livres, étaient auparavant réalisées par l’agence londonienne Adam & Eve jusqu’en 2022, puis par l’agence Saatchi and Saatchi en 2023.
Outre leur côté émouvant, la particularité de ces courts-métrages réside sans doute dans le choix des chansons utilisées pour leurs bandes originales. Chaque année, l’enseigne sélectionne généralement des artistes britanniques actuels et en vogue, dont le capital sympathie profite indirectement à la marque. Parmi eux, Lily Allen, Ellie Goulding, Elton John ou encore Tom Odell. L’intérêt de cette collaboration est à la fois d’utiliser la notoriété des artistes concernés, mais également que les titres musicaux correspondent au message que la marque souhaite faire passer. Cette bande-son constitue l’un des éléments de base des courts-métrages de l’enseigne, et son style de musique acoustique et intergénérationnel permet d’attirer une large cible. Cette dernière est particulièrement importante puisque les publicités John Lewis ne comportent peu ou pas de dialogues, la musique donne alors le ton émotionnel nécessaire pour aider à raconter l’histoire qui se déroule à l’écran.
John Lewis fait également appel aux émotions telles que le plaisir, le mystère ou encore le rêve… Cela passe par l’utilisation de valeurs, de héros, ou de mythes, et ce type de messages nécessite créativité et inventivité. Ainsi, le·la consommateur·rice finit par attribuer une valeur affective préférentielle à la marque. Et grâce aux publicités festives qui l’ont popularisée, celle-ci pourrait désormais sembler plus accessible aux yeux du public.
En effet, afin étendre l’expérience client au-delà de cette communication, l’enseigne commercialise un merchandising associé à son court-métrage publicitaire (cartes de Noël, chocolat, biscuits, pyjamas, livres, coussins, peluches, tote bags…) dans une gamme de prix plus abordable que les autres produits du grand magasin. Ces derniers permettent de nombreux leviers stratégiques : faire perdurer la féérie de la publicité bien longtemps après qu’elle ait été diffusée, proposer des souvenirs tangibles de cette dernière ou encore inciter de potentiels client·e·s à acheter grâce à des produits d’appel. De plus, pour toucher les consommateur·rice·s et générer un attachement à la marque, l’enseigne encourage généralement les motivations oblatives : “Offrez à quelqu’un un Noël inoubliable !” (traduction de l’anglais).
Quid de la nouvelle publicité ?
La nouvelle publicité, sortie le 9 novembre 2023, s’intitule “Snapper : The Perfect Christmas Tree”. Au son de la chanson “Festa”, spécialement composée par le ténor italien Andrea Bocelli, on suit les aventures d’un arbre de Noël pas tout à fait comme les autres. La dimension écologique, la sobriété et les valeurs de tolérance sont au cœur de cette campagne publicitaire.
Elle raconte l’histoire d’Alfie, petit garçon qui achète une graine lui promettant d’obtenir le sapin de Noël parfait. Une fois plantée, cette dernière se transforme en plante carnivore. Cependant, celle-ci tente d’attaquer le chien de la famille, ce qui rend son intégration difficile au sein du foyer. Ses parents décident alors de mettre la plante dehors. Au fil des jours, cette dernière souffre de solitude et se referme littéralement. La famille, préoccupée par sa tristesse, fait preuve d’empathie et apporte des cadeaux à son pied. La plante les mange puis les recrache sans leurs emballages, leur permettant de découvrir ce qu’ils contiennent tout en transformant les papiers cadeaux en confettis. La publicité se conclut sur la phrase : “Laissez grandir vos traditions”.
Cette histoire n’est pas sans rappeler celle de la comédie musicale La petite boutique des horreurs (1986), mettant en scène une plante carnivore du nom de Audrey, qui se met à bouger et à parler. Un grand nombre de références à Audrey sont d’ailleurs présentes dans la pop culture, tels que dans les jeux vidéo Yoshi’s Island ou Mario Bros.
La force de cette campagne est de présenter plusieurs singularités :
– La représentativité : l’absence de la famille nucléaire permet une vision plus juste de la famille britannique actuelle. En faisant le choix de mettre en scène une famille monoparentale (soit environ 15% des foyers britanniques), la marque propose une meilleure représentativité des publics, s’éloignant de la vision traditionnelle de la famille.
– La dimension écologique : on peut supposer que la question du réchauffement climatique a influencé l’angle de la publicité, qui est l’un des problèmes principaux dans notre société actuelle. De plus, on s’est souvent demandé quelle était l’alternative la plus écologique : celle de l’achat d’un sapin synthétique ou d’un sapin naturel ? Également, la représentation de l’arbre de Noël, symbole important, peut différer selon les cultures. Cela suggère que l’on peut tout à fait fêter Noël avec un sapin qui n’entre pas dans les “normes esthétiques”.
– L’évolution des traditions : parmi les messages transmis à travers cette publicité, on retrouve l’importance de recréer sa propre interprétation de la fête païenne. Celle-ci nous encourage à adopter de nouvelles traditions, même si ces dernières nous paraissent un peu inhabituelles, car après tout, Noël reste Noël. Ce message résonne d’autant plus dans un contexte interculturel. En effet, les modes de célébration pratiqués par les populations du monde diffèrent en fonction de critères, dont l’acculturation. Ce terme désigne le fait d’assimiler une nouvelle culture à la sienne pour en recréer une nouvelle, suite à un déménagement ou à une expatriation dans un pays étranger.
– La tolérance : si au départ, la famille montre quelques aprioris et préjugés sur la plante car celle-ci diffère de la figure traditionnelle du sapin de Noël, elle finit tout de même par l’accepter.
De manière générale, cette nouvelle publicité a reçu un accueil positif malgré son changement de ton. D’après une majorité de commentaires sur YouTube, les internautes éprouvent un sentiment de joie, de rire et de légèreté. Petit à petit, les grandes marques britanniques ont abandonné le sentimentalisme de cette dernière décennie – une période à laquelle la plupart d’entre elles étaient focalisées sur l’envie d’émouvoir le public, parfois en oubliant d’essayer de vendre un produit. Cette publicité illustre cette évolution dans un esprit un peu plus “optimiste”, en conjuguant le côté farfelu et joyeux, avec le côté sincère et touchant que l’on retrouve dans les publicités précédentes.
En conclusion, il semblerait que la recette des publicités de Noël rassemble plusieurs ingrédients récurrents. Parmi ceux-ci, les valeurs telles que la générosité, le pardon, le partage… ou encore des thèmes de société sensibilisant les consommateur·rice·s. Grâce à un format, un style et un angle unique qui créent une préférence pour l’enseigne, John Lewis a réussi à fidéliser ses client·e·s et à générer confiance et affection.
Mathilde DENTAN & Irena WARE