The Guardian l’a annoncé cette semaine : la Grande-Bretagne envisage de lancer une campagne autodiffamatoire en Bulgarie et en Roumanie afin de dissuader les potentiels immigrants de venir s’installer dans le pays.
What’s going on?
« Please don’t come to the UK » – ” S’il vous plait, ne venez pas au Royaume-Uni ! Il pleut, la nourriture est infâme, les emplois sont rares et les salaires dérisoires ! ” Voilà l’idée de l’étrange campagne qu’envisage de mener le gouvernement britannique auprès de nos homologues bulgares et roumains.
Cette idée qui a germé dans l’esprit des ministres britanniques accompagne une série de mesures visant à endiguer les vagues d’immigration qui pourraient surgir dans le pays suite à l’arrivée prochaine de la Roumanie et la Bulgarie dans l’espace Schengen. Parmi elles : durcir les conditions d’accès aux services publics pour les étrangers ou encore expulser ceux qui ne trouvent pas de travail au Royaume-Uni trois mois après leur arrivée.
D’après l’un des ministres cités dans l’article du Guardian, l’objectif d’une telle campagne est “de corriger l’impression selon laquelle les rues sont pavées d’or Outre-Manche” mais également de faire prendre conscience aux habitants des deux pays concernés des avantages que présentent leurs territoires respectifs.
Et oui, d’après les dires, l’herbe n’est pas plus verte chez nos voisins Anglo-saxons et ils sont prêts à le démontrer en affichant volontairement les aspects les plus négatifs de la vie insulaire. Cependant, le Royaume-Uni n’en est pas à son premier coup d’éclat. Déjà en 2007, la société Eurostar avait mené une campagne d’affichage qui dépeignait une image peu avantageuse de la capitale britannique.
Alors que le Nation ou le City Branding sont en pleine expansion afin d’assurer la compétitivité et l’attractivité des territoires dans un espace mondialisé, la Grande-Bretagne décide de faire demi-tour et de prendre un tout autre chemin après des années d’efforts pour dresser un portrait idyllique du pays.
Un choix surprenant…
Une initiative plutôt paradoxale quand on sait les sommes astronomiques qui ont été investies pour l’organisation et la promotion des Jeux Olympiques afin de veiller à la bonne réputation du pays et d’accroître sa popularité. Un fait que The Guardian n’a pas manqué de souligner non sans une une pointe d’ironie:
“The idea, however tentative, appears to clash with the billions of pounds Britain spent on the Olympics, partly to drive up the country’s reputation.”
Et oui, ces dernières années le Royaume-Uni a largement occupé la scène médiatique internationale : mariage princier en 2011, pays d’accueil des JO en 2012, jubilé de la reine…
Mais ce n’est pas tout, en parallèle on assiste à une véritable déferlante culturelle où le british lifestyle n’a jamais eu autant la cote notamment auprès de la jeune génération. Berceau de la mode rétro, le vintage fait fureur et les dandys envahissent les rues des métropoles européennes. L’univers british inspiré tout droit des caractéristiques urbaines et culturelles du pays, est plus que jamais en vogue. On ne compte plus les images, vêtements, décorations à l’effigie d’artistes anglo-saxons, de cabines téléphoniques rouges, de Big Ben, de l’Union Jack et autres Black Cabs qui parsèment notre environnement.
Bref, cette initiative s’inscrit totalement à contre-courant des tendances actuelles et s’avère difficile face à la popularité des influences “So British”.
Mais pas tant… Royaume-Uni et Union Européenne : je t’aime, moi non plus ?
Cette démarche apporte une nouvelle preuve de l’euroscepticisme grandissant dans le pays puisqu’on observe depuis quelque temps une légère tendance à l’isolationnisme de la part de nos voisins Anglo-saxons. La semaine dernière, David Cameron jetait un pavé dans la marre en annonçant son intention, s’il était réélu aux législatives, d’organiser d’ici 2017, un référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne. Il affirme en effet : « Il est temps pour le peuple Britannique d’avoir son mot à dire. Il est temps pour nous de régler cette question au sujet de la Grande-Bretagne et de l’Europe ». Une stratégie électorale qui a provoqué de nombreux remous parmi les leaders politiques européens.
Depuis 2008, la crise ne cesse d’alimenter l’euroscepticisme britannique, prépondérant au sein du royaume et réveille les esprits les plus échauffés vis-à-vis de l’Union. En effet, selon une étude de l’Ifop publiée en juin 2011, 60% de la population pense que l’appartenance à l’Union Européenne est une mauvaise chose et 67% souhaite le rétablissement d’un contrôle aux frontières à l’intérieur de l’UE.
Cela dit, si le sentiment d’euroscepticisme culmine aujourd’hui, il est loin d’être nouveau. Les relations de la Grande-Bretagne avec l’Union Européenne ont toujours été très ambiguës Souvenez-vous, elle est à l’origine de l’AELE en 1960, une association de libre-échange visant à contrebalancer la création de la CEE (Traité de Rome, 1957), l’ancêtre de l’UE. Cependant, face à l’échec de ce projet, le pays pose sa candidature auprès de la CEE en 1961 et intègre finalement la Communauté en 1973, après avoir essuyée deux refus de la part du Général De Gaulle. Depuis, le Royaume-Uni nourrit une longue tradition d’opposition à l’égard des projets pro-européens : non au Système Monétaire Européen (1979), plaintes sur la gestion de la PAC (1984), refus d’adopter l’Euro (2001, dont beaucoup se félicitent aujourd’hui), non au Traité Européen (2011).
De plus, depuis la Seconde Guerre mondiale, le pays s’est toujours senti plus proche de la culture nord-américaine que de la culture européenne. De ce fait, le Royaume-Uni a souvent préféré privilégier ses relations avec les États-Unis. Mais aujourd’hui, même le géant d’outre-atlantique désapprouve son comportement et le met en garde contre ce possible retrait de l’Union Européenne.
En 2011, Sophie Pedder, correspondante française pour The Economist déclarait:
« Il ne faut pas sous-estimer l’euroscepticisme britannique, souvenez-vous de Margaret Thatcher qui voyait l’Europe comme un lieu de guerre, où elle allait taper sur les Européens pour obtenir tout ce qu’elle pouvait obtenir ».
« Les Français sont élevés dans un environnement où on leur répète que l’Europe est un bon projet. En Angleterre, c’est exactement l’inverse, la population considère le continent européen et le projet européen avec beaucoup de méfiance ».
Ainsi, il semblerait que ce projet de communication s’adresse plutôt à l’ensemble de la communauté européenne dont la Bulgarie et la Roumanie ne sont que les bouc-émissaires.
Provocante, farfelue, déplacée, maladroite ?
Difficile de juger cette initiative dont l’origine se révèle beaucoup plus lointaine et complexe que l’arrivée de deux nouveaux pays dans l’espace Schengen. Le projet de lancer une telle campagne ne fait qu’animer un sentiment qui sommeille dans l’inconscient collectif britannique depuis longtemps : celui d’une défiance quant à l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’ Union.
Cependant, on doute du pouvoir persuasif d’une campagne qui s’appuie sur de simples stéréotypes négatifs associés à la vie anglo-saxonne. Le Nation Trashing, une dérive de l’Europe Bashing ? Pas sûr que cette forme de communication soit la solution.
Cependant, le projet n’est qu’en pourparlers. Aucune information sur la tournure et la forme que pourrait prendre cette campagne, mais de nombreux internautes s’en sont déjà donnés à cœur joie et ont proposé leur propre version de cette possible campagne sur le site du Guardian.
La Grande-Bretagne, seule contre tous, affaire à suivre…
Source: TheGuardian, Lemonde.fr, lepoint.fr