La famille royale britannique s’est installée depuis maintenant plusieurs siècles dans l’imaginaire populaire. Au cœur de cette dernière, les enfants royaux jouent un rôle crucial en tant que porteurs d’influence sur la perception du public envers la couronne. À l’ère des réseaux sociaux et de la presse omniprésente, le nouveau statut de ces enfants ambassadeurs questionne sur l’influence de la vision du public sur l’image globale de la monarchie ainsi que le rôle que joue la communication dans la préservation de cette image.
L’influence croissante des réseaux sociaux et de la presse :
Alors que le roi Charles III, fils de la défunte reine Elizabeth II, a déjà eu beaucoup à faire dès son enfance avec les tabloïds, ses petits-enfants sont aujourd’hui devenus de véritables ambassadeurs de la nouvelle génération. Les réseaux sociaux permettent maintenant à la famille royale de partager des moments de sa vie quotidienne de manière plus naturelle et plus directe avec leur audience. Le compte Instagram officiel de William et Kate, prince et princesse de Galles – @princeandprincessofwales – rassemble 14,9 millions d’abonnés, soit 1,7 millions de plus que le compte officiel de la famille royale – @theroyalfamily – (13,3 millions d’abonnés). Cette différence significative témoigne du succès de leur stratégie de modernisation. Leur compte présente leurs engagements officiels, les œuvres caritatives qu’ils représentent, mais également des évènements familiaux et des photos et vidéos de famille. Tout est fait pour mettre leurs enfants en avant et les présenter comme une famille ordinaire. Kate se revendique d’ailleurs comme étant la photographe de certaines images de son mari et de ses enfants, ce qui prouve leur volonté de se montrer comme une famille classique britannique.
La position de représentation des enfants royaux :
Le jeune prince Louis, 5 ans, sa grande sœur Charlotte, 8 ans, ainsi que George, 10 ans, deuxième dans l’ordre de succession après son père William, occupent des rôles clés de représentation. Enfants de William et Kate, petits-enfants de Charles III et arrière-petits-enfants de la reine Elizabeth II, on les retrouve lors d’événements officiels comme la cérémonie du Trooping the Colour (l’anniversaire officiel du monarque Britannique), le State Opening of Parliament (l’ouverture solennelle du Parlement, une fois par an), lors de sorties en famille (au complet ou non) ainsi que toutes sortes d’évènements caritatifs. Bien qu’autrefois ces évènements ne rassemblaient que les membres les plus âgés de la famille royale, l’exposition médiatique des cadets de la couronne a considérablement augmenté. En effet, le milieu du XXème siècle a été marqué par le couronnement de la Reine Elizabeth II alors âgée de 25 ans, retransmis en direct à la télévision notamment au Royaume-Uni, en France, en Belgique, en Allemagne de l’Ouest, au Danemark, aux Pays-Bas ou encore au Canada.
De tradition à modernité, une image en constante évolution :
Cette nouvelle direction prise par la famille royale, probablement initiée involontairement par la princesse Diana, la « princesse du peuple », est relativement récente. Quand, au début de son règne (1952), la reine Elizabeth II se montrait être une mère pudique et sur la retenue, au contraire, c’est tout naturellement qu’en 2022, lors du jubilé de platine de la reine, Kate s’affichait maternelle et joueuse aux côtés de son plus jeune fils, Louis. En effet, la génération régnante actuelle a vécu une enfance marquée par une exposition médiatique croissante. Prenons pour exemple le documentaire réalisé à l’initiative du prince Philip en 1967 et intitulé “Royal Family”. Ce dernier a offert au public un regard sans précédent sur la vie quotidienne des membres de la couronne britannique. Notons d’ailleurs que les enfants aînés de la reine Elizabeth II, Charles, alors prince de Galles et âgé de 19 ans, et sa sœur Anne, âgée de 17 ans ont été présentés au public à travers ce documentaire. Le mariage du prince Charles à Diana Spencer en 1981 fut d’ailleurs un évènement majeur suivi en direct par 750 millions de téléspectateurs, et suivie de près par la naissance de William et Harry en 1982 et 1984. Plusieurs fois critiquée et remise en question, la couronne britannique tente une nouvelle approche auprès de son public. Alors que le mariage de William et Kate en 2011 rassemblait 2 milliards de téléspectateurs, on estime que la traditionnelle présentation de leurs royal babies à la sortie de St Mary’s Hospital aurait rassemblé plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs. Depuis, George, Charlotte et Louis sont devenus de véritables icônes de la famille, et le jeune Prince Louis a su charmer les internautes grâce à ses réactions spontanées, notamment lors du jubilé de platine de la Reine (70 ans de règne) célébré en juin 2022. Le #princelouis sur Instagram représente d’ailleurs à lui seul 409 000 publications et le #princegeorge représente quant à lui 799 000 publications.
L’exemple de Charlotte permet de mesurer les retombées de cette exposition. Outre l’influence toujours grandissante de sa mère Kate, celle qui est aujourd’hui 3ème dans l’ordre de succession n’a rien à envier à son grand frère et futur roi, le prince George : le #princessecharlotte représente plus de 638 000 publications sur Instagram. Charlotte représenterait, en termes d’héritage futur et d’impact sur l’économie britannique, 3,6 milliards de Livres, soit 4,2 milliards d’euros faisant d’elle l’enfant la plus riche du monde. De leurs côtés, ses frères George et Louis représentaient respectivement 2,4 milliards et 102 millions de livres. Perçue comme une petite fille particulièrement calme et attentive au protocole, la princesse Charlotte a souvent marqué les esprits pour avoir montré l’exemple à ses frères. Son impact se manifeste également à travers les choix de ses tenues, toujours élégantes et assorties à celles de sa maman, elles font l’objet d’une attention toute particulière auprès des médias et des internautes.
Des tabloïds à la maîtrise de l’image :
Contrairement aux tabloïds (The Sun, Daily Mirror …) qu’ils redoutent pour leur sensationnalisme, les plateformes sociales permettent à la famille royale d’interagir de manière totalement contrôlée avec leurs abonnés en suscitant leur engagement. Les tabloÏds, toujours présents notamment grâce à une forte demande de la population, une culture de la célébrité de la famille royale, ainsi qu’à une importante présence économique, restent néanmoins régis par le Libel Act britannique. Signé en 1843, ce dernier a réformé les lois sur la diffamation et a instauré des protections pour la liberté de la presse. Cela n’a pas empêché le prince Harry, frère de William et fils cadet du roi Charles III, de prendre des mesures radicales afin de protéger sa vie privée ainsi que celle de son épouse Meghan Markle. L’article Le rôle clé des médias dans la communication de la famille royale britannique publié en janvier 2023 sur le Curious Blog résume parfaitement ce lien très étroit entre les tabloïds et la couronne britannique.
En étant présente sur Instagram, X et YouTube sous le même pseudonyme, la monarchie utilise les différents réseaux sociaux pour toucher des publics variés. Ainsi, le prince et la princesse de Galles se montrent accessibles tout en ayant la main sur l’ensemble des images diffusées, toutes choisies avec la plus grande attention et tournées à leur avantage. On retrouve un véritable storytelling, une vie familiale presque normale et des enfants au centre de l’attention. Il est fréquent d’entendre Kate et William s’exprimer sur l’éducation de leurs enfants et mentionner l’importance de transmettre certaines valeurs comme la pratique du sport. Cette image simple et ordinaire est également retransmise sur les photographies des cartes de vœux annuelles. Vêtus d’habits plus simples et loin des traditionnelles cartes de vœux de leurs prédécesseurs, Kate et William s’affichent aux côtés de leurs trois enfants, tous main dans la main en décembre 2022. Moins décontractée, la carte de vœux 2023 ne déroge pas à la règle : vêtus de jeans, pour les plus grands et d’un short pour le Prince Louis, la famille s’affiche unie et souriante. Pour rappel, au Royaume-Uni, le port du short pour les garçons âgés de moins de 8 ans est un marqueur de noblesse et une tradition rigoureusement suivie par les membres de la famille royale.
Les sondages réalisés sur des citoyens britanniques révèlent que la stratégie royale semble porter ses fruits en termes de popularité. Tandis qu’il partait de très loin depuis sa relation avec Diana, le roi Charles III est le quatrième membre de la famille le plus populaire (52%), derrière son fils le prince William (61%), sa belle-fille Kate (59%) et sa sœur Anne (59%). À la veille du couronnement du nouveau souverain, les Britanniques étaient majoritairement favorables à la monarchie (65%). À croire que cette nouvelle ère de la communication axée en partie sur la famille et les enfants porte ses fruits en aidant la couronne à redorer son image tout en se modernisant.
Les autres familles royales européennes :
Alors que les Windsor misent sur leurs cadets pour faire briller leur image, la mise en scène des enfants des couronnes de Belgique, de Norvège et de Suède est totalement différente. En Belgique, les médias belges respectent la vie privée des membres de leur famille royale et très peu d’informations sont divulguées concernant les enfants. En Norvège, le prince héritier Haakon et son épouse la princesse Mette-Marit ont élevé leurs deux enfants dans une immense discrétion, tout comme la princesse Victoria en Suède qui expose rarement ses enfants en public. Cette approche soulève des interrogations sur les choix des Windsor qui semblent privilégier leur image au détriment de la volonté de leurs enfants de devenir des personnages publics. Rappelons que le prince Harry, frère du prince William, a beaucoup souffert de cette surexposition médiatique et l’a d’ailleurs dénoncée, notamment dans son livre Le Suppléant paru en janvier 2023.
Cette approche plus moderne met en avant la vie quotidienne ordinaire des enfants. Kate et William créent une connexion plus qu’intime avec le public qui a presque l’impression de les connaître et de faire partie de la famille. Cette exposition médiatique orchestrée avec soin par les Windsor notamment à travers leurs réseaux sociaux personnels joue un rôle crucial dans la perception du public envers la monarchie britannique, mais pose des questions d’éthique quant au libre-arbitre des premiers concernés.
Joanne SIEGER et Maxime ROLLAND