On dit souvent qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, mais c’est durant la crise de la Covid-19 que nous avons vu cette expression prendre une dimension plus politique : c’est alors que les influenceurs et célébrités ont commencé à utiliser leurs plateformes pour échanger avec leur communauté et faire bouger les choses alors que la politique ne fait, selon eux, pas assez.
En 2020 nous avions déjà assisté à une vague d’actions de différentes figures populaires, comme la vidéo de célébrités américaines et leur cover d’Imagine de John Lennon ou la chanson de trois rappeurs néerlandais qui rappellent les gestes barrières. Tout ceci pour alléger la situation et apporter une touche positive à une situation difficile – mais un an plus tard, la crise est plus dure que jamais. Après l’angoisse, l’inquiétude, la résignation, la lassitude, c’est aujourd’hui la colère qui gagne les étudiants. Entre détresse psychologique et difficultés financières, la jeunesse ne se sent pas écoutée et appelle à l’aide : #ÉtudiantsFantômes devient trending topic sur Twitter mi-janvier. C’est alors que le mouvement d’aide de la part des influenceurs s’est enclenché, prenant ensuite des dimensions hors-normes.
Remise en contexte
Ce mouvement commence le 24 janvier avec Gaspard G (Gaspard Guermonprez). Le jeune vidéaste publie Les meilleures années de nos vies sur sa chaîne youtube. Ému et inspiré par les messages de sa communauté, il crée la vidéo avec copywriting très travaillé pour porter de l’attention à la situation étudiante, victimes de cette crise. Très vite, la vidéo circule et devient virale sur les réseaux sociaux, faisant deux millions de vues en quelques jours. Peu de temps après la publication, le Youtubeur reçoit un appel de Jean Castex, Premier ministre, pour demander quelles mesures pourraient être prises afin d’améliorer la situation, passant notamment par la question d’un retour en présentiel une fois par semaine et l’instauration d’une règle d’exception pour les étudiants lors d’un éventuel troisième confinement.
Puis, le 31 janvier 2021, Hugo Décrypte (Hugo Travers) publie sur sa chaîne Youtube L’appel à l’aide de notre génération : un recueil de cris de détresse venant des étudiants. La vidéo de 3 minutes laisse parler les étudiants de leur détresse et de leur désespoir, visant à atteindre le gouvernement et de confronter ce dernier à la situation que vivent bon nombre de jeunes. La semaine qui suit, le jeune journaliste sera en direct sur le plateau de BFMTV pour un échange avec Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, puis en direct sur Twitch pour échanger avec Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur : moments pendant lesquels il incarne le rôle de porte-parole des étudiants français.
Mais ce n’est pas le seul influenceur à mettre à profit le pouvoir de sa notoriété pour la jeunesse. Bien qu’il ne s’agisse pas de sa propre initiative, nous pouvons citer EnjoyPhoenix (Marie Lopez) qui a été reçue à l’Elysée par Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, pour la première émission de #SansFiltre le 24 février 2021. Elle faisait partie d’un groupe des quelques youtubeurs invités et rémunérés pour débattre au sujet de la précarité des jeunes à un an du début de la pandémie. Lors de cet échange, la youtubeuse a défendu les intérêts des étudiants à plusieurs reprises, critiquant les priorités et mesures prises par le gouvernement, déclarant : “Je pense qu’il y a une grosse incohérence entre les gens qu’on laisse s’entasser dans les magasins, le bus, le RER, [le fait que] les collèges, les lycées et les prépas soient ouverts et les universités qui sont fermées. Il faut arrêter de croire que les étudiants ne sont pas des gens responsables, qu’ils ne vont pas se protéger. Personne n’a envie d’attraper la Covid. Si demain on rouvre les facs, je pense que tout le monde sera heureux de pouvoir y retourner”.
Convergence entre influenceur et Community Manager
La question à se poser est comment le rôle des influenceurs est passé du divertissement et de l’influence de sa communauté à la défense voire le combat pour cette dernière ? Pour cela, nous pouvons faire l’analogie avec le métier de Community manager (CM) : au-delà de faire des publications sur les réseaux sociaux, une de ses tâches principales est de réaliser de la veille et d’échanger avec les followers. Entre les messages directs, les tendances ou commentaires sous les publications, les CM sont les premiers au courant de l’évolution des tendances au sein de leur communauté. Les influenceurs, digital natives pour la plupart, sont en fait les Community manager de leur propre communauté, le groupe de personnes qui les suivent pour leur attitude et leur personnalité. La qualité de leur travail repose en partie sur la force de cette communauté : plus un influenceur échange avec elle, plus elle se sentira attachée à la personne et mieux sera le rapport de confiance, donc plus les partenariats seront intéressants pour les marques.
Au contraire du CM qui représente une marque, l‘influenceur est la marque et permet à l’audience de faire partie de sa vie en partageant des moments plus ou moins heureux et en créant un réel échange. Il devient donc à la fois une personne dont on veut suivre les conseils, mais aussi une oreille attentive à nos attentes. Cette relation à double sens est devenue d’autant plus importante pendant la crise de la Covid-19. C’est cet aspect que relève Hugo Décrypte dans une interview dans Culture Médias sur Europe 1 : “On a reçu des milliers de notes vocales, et on a essayé de les compiler. Il y a des troubles anxiogènes généralisés chez les jeunes (…) C’est ce qu’on a voulu illustrer.” Les influenceurs, majoritairement suivis par les jeunes français, ont été directement témoins de la détresse de leur audience et ont vu la situation se dégrader peu à peu – c’est cette proximité qui les a, sans doute, motivés à les défendre.
La dimension politique des influenceurs : un fait constaté par le gouvernement
L’importance des influenceurs dans la crise sanitaire a très vite été retenue comme un excellent intermédiaire pour parler aux jeunes par le gouvernement français ; nous pouvons notamment faire référence au défi lancé par le Président de la République en personne aux youtubeurs McFly & Carlito, du jamais vu. La vidéo, qui a atteint d’une manière presque déconcertante l’objectif en dépassant rapidement la barre des 10 millions, s’inscrit dans la volonté du gouvernement de faire passer des messages auprès d’un public jeune à travers des canaux de communication peu habituels. Simple rappel citoyen des règles sanitaires ou coup de com pour gagner un électorat jeune en vue des élections 2022 ? Le but de cette stratégie n’est peut-être pas encore clair, mais le simple fait que le gouvernement fasse désormais appel à la communauté des influenceurs montre que le métier est passé par une transformation fondamentale. Là où la profession était bien souvent incomprise et considérée comme superficielle, le lien entre les influenceurs et leur communauté est maintenant un outil de communication d’une valeur incomparable.
Article rédigé par Aude Troestler et Eva den Broeder.