Interview de Camille Labousse – cofondatrice de l’association féministe dijonnaise Les Orageuses

Par Eva Den Broeder pour le Curious Live.

Retranscription par Élise Jager.

Eva : On accueille Camille Labousse de l’association Les Orageuses, à Dijon. Bienvenue à vous ! 

Camille : Merci ! 

 

Eva : On va commencer par une question un peu simple. Selon vous, qu’est-ce que l’écoféminisme ? 

Camille : Oui alors, c’est pas une question si simple. Pour moi l’écoféminisme ce n’est pas un mouvement ni un phénomène de mode, c’est un nom générique sous lequel on va placer différentes formes d’expression qui mettent en relation l’écologie et le féminisme. Donc c’est pas simple que ça ! Et ces formes d’expression peuvent être politiques, militantes, poétiques, artistiques et même spirituelles. Pour moi c’est cela qui est intéressant dans l’écoféminisme et c’est en même temps ce qui va le rendre difficile à définir, car on ne peut pas le ranger dans une seule case. Après d’un point de vue militant, je dirais que l’écoféminisme est la façon de se rendre compte des corrélations entre l’oppression de la nature et l’oppression de la femme perpétués par le patriarcat. Et puis politiquement parlant, c’est de mettre en lien le saccage de la nature et l’environnement avec les maltraitances faites aux femmes et de lui donner comme oppresseur le patriarcat et donc par extension, le capitalisme. C’est pas si simple que ça ! 

 

Eva : Du coup on a vu que c’est un concept qui a été introduit par une française, quand est-ce que vous diriez que l’écoféminisme a pris de l’ampleur en France justement ? 

Camille : Oui, je pense que vous faites occurrence à Françoise d’Eaubonne. Donc moi je replace l’écoféminisme, enfin le début, dans les années 70-80, même si ça n’a pas pris à cette époque là. Ça n’a pas pris parce qu’en France on était dans un féminisme de première et seconde vague, très structuraliste, matérialiste ensuite dans les années 80. Et donc la pensée de François d’Eaubonne était perçue comme essentialiste, donc vraiment en opposition avec le féminisme français des années 70-80. Donc ça n’a pas pris à cette époque-là. Par contre aux Etats-Unis, dans les pays anglosaxons, ça a vraiment pris une grosse ampleur. Et sinon pour revenir en France, ben c’est récent en fait, ça revient sur le devant de la scène depuis très peu d’années 5, 6, 7, enfin même pas… 5 ans. Les dernières années on voit des mouvements, des collectifs qui se mettent en place dont notre association par exemple, et voilà, donc je dirais que ça prend de l’ampleur là depuis que le féminisme… que cette nouvelle vague de féminisme, on va dire, qui est peut-être partie du mouvement Me too. Voilà. 

 

Eva : Ok, vous avez évoqué l’association justement… A titre personnel, pourquoi est-ce que vous avez rejoint l’association les Orageuses ? 

Camille : Alors en fait, je l’ai rejoint mais je l’ai aussi créée, avec un groupe de personnes. C’était il y a un an et demi donc c’était fin de l’été 2019. Et en fait, on était plus ou moins des connaissances lointaines ou proches, ou des gens qu’on avait perdu de vue etc. Donc on s’est retrouvés. Et on est arrivés à un moment où on discutait et on s’est dit : « Tiens, il faudrait qu’on trouve un lieu safe, dans lequel on pourrait échanger, parler de problématiques féministes et LGBTQ+ et en fait on avait fait des recherches pour intégrer une association éventuellement qui existait sur Dijon, et on n’a pas trouvé. Alors il y a, et il y avait des associations féministes, mais qui ne répondaient pas forcément à nos attentes. Donc on s’est dit « Tiens, on va créer l’association ! ». Et il y a une demande derrière ça, il y a quand même des gens qui sont curieux ou qui sont en demande, donc ce n’est pas anodin ce qu’on a fait ! 

 

Eva : Et du coup, qu’est ce que vous faites comme actions ? 

Camille : Alors l’association là elle est portée sur deux axes principaux. Un axe culturel : et donc là depuis le début de l’année scolaire – on fonctionne par année scolaire – donc depuis septembre 2020, on monte ; on a monté, un club féministe qu’on a appelé « Sur les pavés » et là malheureusement avec la crise sanitaire, on ne le propose pas en physique, on aimerait vraiment, mais on propose des lives. La semaine dernière on a fait un live sur l’écoféminisme justement !  Et celui d’avant – en décembre ou novembre je sais plus – il portait sur le fantasme. Ce sont vraiment des sujets divers et variésça porte sur la culture : livres, films, artistiques, voilà un vrai échange.  

Après justement, avec cet axe culturel, il y a un projet – qui va naître début du mois de mars – c’est tout neuf on n’en a pas encore vraiment parlé autour de nous ; c’est la construction d’une bibliothèque mobile : pour aller apporter cette culture féministe dans tous les quartiers de Dijon et les communes limitrophesdans un souci de créer du lien social. On va aller dans les quartiers pour discuter, pour parler des questions féminines, féministes aussi. On lance un financement participatif à partir du début du mois de mars. Donc n’hésitez pas à regarder ce que nous faisons sur les réseaux sociaux, on va vous mettre plein de petites choses pour vous appâter 

Et sinon on a un deuxième axe sur lequel on travaille, c’est l’axe social. On avait commencé à mettre en place cet axe après début 2020. Donc on travaillait avec des habitantes d’un village de stabilisation, qui est sur Dijon, afin de valoriser leur savoir-faire, voilà de pouvoir nourrir à petite échelle, leur petite communauté et puis échanger sur des questions assez sensibles sur le corps, sur les relations, sur la sexualité, auprès des enfants, des adolescentes et des femmes de ce village. Donc ça pareil, on aimerait bien y retourner mais en ce moment c’est très compliqué.  

Et on a un projet, sur le long terme, de créer un plus grand jardin solidaire où on accueillerait des personnes isolées, dans un souci de réinsertion socialeen leur proposant de venir jardiner, de venir échanger autour du jardin, et surtout dans un cadre serein où les gens se sentent en sécurité. C’est ça qui est important : c’est d’offrir un lieu où la parole peut être libre et où les gens peuvent se sentir en sécurité. Voilà pour nos actions actuelles !  

Et après oui, la semaine dernière, samedi dernier, on a aussi fait une collecte de protections menstruelles par exemple. On collabore avec pas mal d’associations locales aussi. Et cet été, on va sûrement être au Vive Festival, à Dijon, et là on aura un stand de prévention avec d’autres associations de prévention. On aura certainement aussi un petit gang qui viendra raccompagner les personnes vers le parking ou qui voilà, accompagnera les personnes qui ont besoin d’une aide. Donc ça, c’est pour le futur proche. 

 

Eva : Et vous en parliez tout à l’heure aussi, par rapport aux réseaux sociaux. Est-ce que selon vous, les réseaux sociaux sont aujourd’hui le meilleur moyen pour créer une communauté autour d’un mouvement social comme l’écoféminisme ? 

Camille : Oui, alors les réseaux sociaux c’est un très bon moyen. On l’a vu comme je le disais tout à l’heure avec des mouvements comme « Me too », c’est vraiment que ça a permis de recréer une vague féministe. Après ce ne sont pas les seuls moyens on va dire d’action pour créer une communauté, c’est un canal très intéressant mais il faut multiplier les moyens pour toucher le plus grand nombre de personnes, parce qu’il y a des personnes aussi qui ne sont pas familiarisées aux réseaux sociaux. Pour l’association c’est très important d’être à la fois sur les réseaux sociaux, on y est : on est sur Facebook, Instagram pour le moment, mais aussi d’être présente physiquement durant des événements, soit en étant invités soit lors de manifestations aussi. Voilà, je pense quc’est une combinaison pour créer un mouvement. Et toutes les actions sont importantes, il n’y a pas de petites actions. Après les réseaux sociaux c’est vrai que c’est très intéressant dans le sens où ça permet à certaines personnes de franchir plus facilement le pas, et de pouvoir s’exprimer, de s’éduquer, de se cultiver, de parler de ses expériences et peut être que ces personnes n’auraient pas forcément pu se rendre dans un groupe de parole. Par exemple nous au départ, on ne l’a pas trouvé, en fait, ce lieu physique. Donc c’est vrai qu’au travers des réseaux sociaux c’est plus simple. Les réseaux sociaux ça permet vraiment de libérer la parole : « Me too »« Me too Inceste », ce qu’il se passe avec SciencePo en ce moment… C’est une puissance inouïe et puis ça dépasse aussi le cadre local : c’est national voire international, c’est ça qui est hyper intéressant et important. 

 

Eva : Donc, vous avez parlé des réseaux sociaux, mais pas que : il y a plusieurs canaux. Donc, quelle stratégie estce que vous pensez qu’il faudrait adopter afin de faire comprendre aux gens l’urgence climatique et ses conséquences ? 

Camille : Je pense qu’il faut être présent tout le temps et partout, c’est très important. Et il ne faut pas se décourager. Il faut mener des actions à petite échelle et ne pas en avoir honte, et voilà je dirais que les stratégies à adopter c’est parler autour de soi, recommander autour de soi et aussi d’un point de vue plus militant, d’invectiver les pouvoirs publics. Grâce aux réseaux sociaux justement, on peut faire des hashtags, interpeler les politiques, et je pense que ça peut être une très bonne stratégie pour montrer les urgences climatiques et créer quelque chose. 

 

Eva : Ok et donc est ce qu’il y a déjà eu des actions de mouvements comme ça qui ont eu selon vous, un réel impact sur les politiques et sur la façon dont la société fonctionne ? 

Camille : Heu… oui. Alors je pense que ce sont toutes les actions qui sont venues de la rue, qui viennent des gens. Alors si on reprend l’écoféminisme, ce sont toutes les luttes de personnes qui ont voulu montrer les conséquences néfastes de tel ou tel projet : par exemple le « Women’s Pentagon Action » dans les années 80 ou le mouvement « Chipko » au Népal (*ndlr Inde), ou la « Green Belt Movement » au Kenya qui a été portée par Wangari Maathai. Et toutes les actions par exemple menées en Amérique du Sud, il y a une vraie communauté écoféministe en Amérique du Sud qui pointe justement l’urgence et les dégâts que peuvent porter certains projets. Donc je pense qu’elles ont vraiment un gros impact sur les politiques. Après peut-être dans le cadre franco-français on va dire : il y a les lanceurs d’alertes, y en a pas mal des lanceurs d’alertes, et ils font un travail incroyable ! Il faut à tout prix que ces personnes puissent continuer à alerter. Et après les actions de désobéissances civiles portées par les associations comme Extinction Rebellion par exemple car on voit qu’il y a urgence. Ce n’est pas violent mais l’urgence devient un cri du cœur, c’est visuellement impactant et ça montre que tout une communauté est prête à agir et invectiver, à montrer tout ce qui ne va pas. 

 

Eva : Ok et on a juste encore quelques questions sur votre association. Du coup déjà, combien de membres est-ce qu’il y a dans cette association et comment s’engager simplement au sein de l’association ? Est-ce que c’est ouvert à tous ? 

Camille : Alors en membres actifs on est une dizaine. En adhérents on est une cinquantaine de personnes. Après on a d’autres personnes qui nous suivent sur les réseaux sociaux qui ne sont pas forcément adhérents. Sur Instagram nous sommes à 1000 abonnés. Pour nous rejoindre, l’association est ouverte à tout le monde, il n’y a pas de restriction, on accepte vraiment tout le monde. Tout le monde peut s’engager, adhérer à l’association, le prix de l’adhésion est modique, on l’a fait exprès pour qu’un maximum de personnes puissent venir et participer donc elle est à 5€. Donc l’association elle est ouverte aux femmes, aux LGBTQI+, aux hommes cis, après certains événements peuvent être en mixité choisie. Donc là on l’explique : donc là on l’explique quand on choisi de faire des événements physiques, on explique la raison pour laquelle on fait ce choix-là. Après là c’est très difficile en ce moment de pouvoir se réunir physiquement donc on ne le fait pas. On essaiera dès que possible de le faire avec toutes les précautions nécessaires bien entendu, pour rencontrer les gens intéressés par notre association. Donc on l’a déjà fait, ça marche bien, c’est un super moment pour partager. Les gens sont très contents, on est très contentes aussi. Auprès il n’y a pas de petit engagement, on peut venir pour un événement, on peut venir pour un live, et ne plus revenir du tout. On peut très bien vouloir s’investir dans l’organisation de projets. On ne juge pas, tout le monde est libre de participer à son échelle comme il veut. Et nos événements sont quasiment toujours gratuits et l’adhésion vraiment modique. Voilà et donc après vous pouvez toujours nous contacter via notre adresse mail ou notre page Facebook ou Instagram Les Orageuses.

 

Eva : Alors merci beaucoup, c’était Camille Labousse de l’association les Orageuses à Dijon.  

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